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Mousse rose de mon enfance
de Najia Abeer
Dans l’ombre bleue de tes ruelles
Sommeillent mes rêves
Glissent mes pas
De Sidi Rached à Sidi Bouannaba
Sillonne mon sourire dans les méandres d’un rire
Cuivré
Blotti au fond d’un atelier
Enjouement d’un maillet danseur
Sur le bord d’un s’ni*
Ruisselle l’eau de fleur d’oranger.
Oranges amères
Roses perlières
Gouttent d’un distillateur
Rouge cuivré.
Mousse rose de mon enfance
A une gouttière cendrée
Suspendue
Lèvre rose souriante.
Toits rouges de désir
De soleil et d’azur, voici :
Un pan de firmament
Entre deux minarets, coincé
Sidi Lakhdar, embaumé.
Voilà
Un chaud rayon débrouillard,
Lézard
Cent fois centenaire, toujours étonné
Noyé, heureux, dans le nil* de tes pierres
De plaisir frissonnant
Fier.
Yeux turquoise d’un zélidj*
Du Wast ed Dar, où, dans le zigzag de son souffle
La fontaine
Chuintements
Murmures
Quiétude intime d’un hammam en fleurs
Henné à l’eau de rose sous le nacre d’un qabqab*
Dans une paume fiévreuse, l’ambre d’un s’khab.*
Yeux vermeille d’un zélidj
D’un arc-en-ciel volé
Du Wast ed Dar*
L’arôme poivré d’un café dans la cendre endormie
Brasero en quête de fraîcheur
Ebloui.
Femmes, faites tinter vos r’dif*
Agitez votre khalkhal*
Ce soir, nous irons compter les étoiles
De la fenêtre
Du menzeh.*
Les petites, les grandes
Les plus proches, les plus éloignées
Les filantes, les voilées
Puis, nous irons nous les partager
A égalité.
Que vos rires en cascades roulent jusqu’à la s’qifa*
Que vos velours génois étalent
Montrent l’or de vos doigts !
De Sidi Bouannaba à Saïda
Sillonne mon sourire dans les méandres d’un rire
Doré
Blotti au fond d’un atelier
Ballade d’une aiguille trotteuse
Brodeuse
Qattifa annabi.*
Sillonne mon sourire dans le creux d’un rire
En offrande argentée
Pour ce pan de mur
Mille baisers
Milles bras embrassés.
Du Chatt à El Bat'ha
Sillonne mon sourire dans l’éclat d’un rire
En échos
Dispersés.
Sillonne mon sourire dans la joie d’un rire
Aux senteurs de henné
Dans une main câline
Du haut d’un quinquet
Sourire d’une Médine
A ne jamais offenser
Oublier
Amis de Constantine
D’hier
D’aujourd’hui
Entendez-vous ces bruits ?
Cliquetis de chenilles
Les monstres de la nuit.
Pour ce pan de mur nili*
Milles baisers
Mille bras embrassés.
S’arrête mon sourire dans l’agonie d’un rire
Trahi.
Najia Abeer
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L'éclatement du bloc communiste : la fin de l'URSS et de l'Europe de l'Est
L’arrivée au pouvoir en 1985, de Mikhaïl Gorbatchev modifie les rapports est / ouest. Sa politique suscite une nouvelle détente entre les deux grandes puissances ainsi qu’un mouvement de contestation au sein du bloc communiste entrainant de 1989 à 1991 l’émancipation des pays satellites.
Quels changements sont induits par ces mouvements d’émancipation en Europe de l’Est et en URSS même ?
1. Les années Gorbatchev
a. De nouvelles tensions
La période 1979-1983 marque un recul de la politique de détente. Une série d’événements ainsi qu’un certain nombre de positions fermes relancent avec acuité l’affrontement entre les deux grands :
- l’invasion de l’Afghanistan par l’armée soviétique ;
- le soutien du nouveau président américain Ronald Reagan à tous les mouvements anticommunistes ;
- l’installation de missiles nucléaires américains Pershing en RFA et le déploiement des fusées SS 20 de l’URSS en Europe de l’Est.
A ces événements vient s’ajouter l’IDS (Initiative de Défense Stratégique) ou « guerre des étoiles » voulue par le président américain et à laquelle les Soviétiques ne sont pas en mesure de s’opposer. Ils n’en ont les moyens ni technologiques ni financiers.
b. La reprise du dialogue
Dès son arrivée au pouvoir, Mikhaïl Gorbatchev montre qu’il est favorable à une politique de détente. Il est opposé à la course aux armements qu’il juge financièrement insupportable pour l’URSS. Il se montre favorable à la paix et soucieux de mettre en place de profondes réformes structurelles dans son pays. En 1985 il rencontre Ronald Reagan favorisant ainsi la reprise du dialogue entre les deux superpuissances. Ce dialogue aboutit en qui 1991 à une série d’accords visant à réduire le stock d’armes nucléaires (Strategic Armements Reduction Talks–START).
c. L’échec de la Perestroïka
Pour relancer l’activité économique en URSS, Mikhaïl Gorbatchev lance une réforme qui s’appuie en partie sur des principes capitalistes. Il favorise l’initiative individuelle, encourage l’économie privée et la démocratie et donne plus de liberté à la population : ce vaste mouvement de réforme est appelé Perestroïka. Il est associé à une plus grande liberté dans la diffusion de l’information : la Gladnost ou « transparence ».
Mais cette volonté de transformer les modes de production, d’élever le niveau de vie de la population est trop précipitée. Le chômage apparaît, les prix augmentent, les salaires stagnent, les écarts sociaux se creusent au sein de la population.
Devant la contestation de la politique intérieure, de plus en plus virulente et l’agitation qui gagne les pays satellites, Mikhaïl Gorbatchev démissionne en décembre 1991 de ses fonctions de président d’une URSS qui dans les faits, n’existait plus depuis l’automne car huit républiques sur quinze avaient déjà proclamé leur indépendance.
2. L’agitation gagne l’ensemble du bloc communiste
a. Les républiques sécessionnistes
Jusqu’alors les volontés de liberté qui se manifestaient au sein du bloc, avaient été sévèrement réprimées comme par exemple en Hongrie en 1956 ou encore à Prague en 1968.
En 1987, Gorbatchev annonce qu'il permet aux pays du bloc de l’Est de réaffirmer leur souveraineté ce qui entraîne la sécession de huit des quinze républiques soviétiques : les Etats baltes, Estonie, Lettonie et Lituanie sont parmi les premiers à s’affranchir de la tutelle de l’URSS.
b. La chute du mur de Berlin
L’ouverture de la frontière entre la Hongrie et l’Autriche permet, aux Allemands de l’Est, après un long périple par la Tchécoslovaquie, de contourner le rideau de fer et de passer à l’Ouest. Le 9 novembre 1989, sous la pression populaire et avec l’aval du pouvoir soviétique le conseil des ministres est-allemand décide d’ouvrir le mur de Berlin et les frontières avec la RFA.
Des dizaines de milliers de Berlinois se rejoignent et franchissent les brèches ouvertes dans « le mur de la honte ». Des familles, des amis, se retrouvent après vingt huit ans de séparation.
c. La fin du bloc communiste en Europe
L’un après l’autre, les Etats du bloc communiste européen se détachent de l’ex-URSS, devenue Communauté des Etats Indépendants le 8 décembre 1991 par le traité de Minsk. La Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, qui se scinde en deux Etats distincts en 1993, plus tard la Roumanie, la Bulgarie, l’Ukraine s’émancipent et aspirent à plus de liberté, les partis communistes encore en place se rapprochent parfois des partis d’opposition plus démocratiques.
Seule la Biélorussie conserve un régime proche du communisme.
3. L’Europe redessinée
a. L’Allemagne réunifiée
La chute du mur de Berlin et la fin des deux Allemagnes entraînent, l’année suivante, le 3 octobre 1990, la réunification en une seule entité politique qui devient ainsi l’Etat le plus peuplé d’Europe avec 82 millions d’habitants.
Berlin retrouve son statut de capitale. Mais cette réunification coûte cher : du coté de l’ex-RDA routes, infrastructures, réseaux, usines, tout est à moderniser. Cette réunification déplace vers l’est le centre de gravité de l’Europe ; cette Allemagne unifiée se retrouve en effet au cœur de l’Union Européenne.
b. Les poussées nationalistes se font jour
Pendant la période communiste, le joug soviétique a étouffé durant plusieurs décennies les aspirations nationalistes des peuples de l’Europe de l’Est mais la fin du totalitarisme les réveille.
C’est dans ce contexte qu’éclate la guerre dans l’ex-Fédération de Yougoslavie : Serbes, orthodoxes, Bosniaques musulmans et Croates catholiques se livrent une guerre sans merci. Ce conflit révèle très rapidement un caractère ethnique : on pratique l’épuration et on recourt aux camps d’enfermement comme pendant la Seconde Guerre mondiale.
L’ONU tarde à intervenir et ce n’est qu’en 1995 que les accords de Dayton installent une paix précaire. Les tensions demeurent vives encore aujourd’hui entre Serbes et Albanais à propos de l’indépendance du Kosovo initialement rattaché à la République de Serbie. A l’opposé, la Slovénie petite république du Nord-Ouest de l’ex-fédération de Yougoslavie a déjà rejoint l’Union Européenne.
c. Le pouvoir d’attraction de l’Union Européenne
L’attraction qu’exerce l’Union Européenne sur tous ces anciens Etats du bloc communiste est extrêmement forte. Nombre d’entre eux l’ont déjà rejointe.
Entre 1993 et 1996 neuf PECO (Pays d’Europe Centrale et Orientale) déposent leur demande d’adhésion et au 1er mai 2004, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, la Hongrie et la Slovénie rejoignent l’Union Européenne. Enfin au 1er janvier 2007 ce sont la Roumanie et la Bulgarie qui à leur tour intègrent l’UE.
Des pourparlers sont en cours avec d’autres Etats, en particulier l’Ukraine.
L’essentiel
Durant Les vingt dernières années l’Europe a connu de profonds bouleversements. La situation issue de la Seconde Guerre mondiale et qui a figé les blocs pendant quarante ans est révolue, le bloc communiste n’existe plus même si la Biélorussie ou la Moldavie sont encore en retrait.
Des régimes plus ou moins démocratiques se sont mis en place, souvent avec l’appui des anciens partis communistes qui ont choisi d’autres dénominations. La plupart de ces ex-Etats communistes font aujourd’hui partie de l’Union Européenne. Quant à la Russie son régime revêt encore des formes autoritaires mais elle entend jouer sa place dans les relations internationales après s’être ouverte à l’économie de marché.
Source :
http://www.maxicours.com/soutien-scolaire/histoire/terminale-stg/223734.html
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Gorbatchev et Cie : La plus grande trahison de l’Histoire
Nous publions pour réflexion, cette analyse de Zinoviev concernant la trahison des élites en Union Soviétique, en particulier parce que en France aussi, nous vivons les conséquences d’une trahison nationale et républicaine, au niveau de l’Etat comme à la tête de nombreux partis politiques. Dans les deux cas le chef d’orchestre était et aujourd’hui encore, demeure-le même.
Fleurus. mercredi 10 juin 20y15, par Comité Valm
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Harbi Mohamed
La crise algérienne
Si l’on veut comprendre la crise algérienne, force est, avant de s’interroger sur ses perspectives, de restituer les déterminants historiques.
Les déterminants historiques de la crise
Jusqu’en novembre 1954, le champ politique algérien a été investi par des forces opposées sur les fins du devenir du pays et sur les moyens d’y parvenir. Au plan social, des groupes autonomes (bourgeoisie, prolétariat, intelligentsia) ont commencé à se développer à l’ombre de la colonisation mais leur cohésion restait hypothéquée par le poids des solidarités régionales. Au plan culturel, l’Algérie n’a jamais bénéficié d’un socle homogène. La culture religieuse et la culture politique avaient des fondements et des traits communs, favorables à l’assimilation réciproque des élites. Mais en faisant du français la langue de l’État colonial et de l’enseignement, et en marginalisant l’arabe condamné désormais à n’être que le véhicule de la tradition religieuse, la colonisation provoquait une grave segmentation au sein des élites. Le dualisme épargne le domaine de la pratique religieuse mais affecte profondément le comportement, les attitudes et le rapport au politique, malgré l’éclatement des milieux culturels et l’opposition dans la confusion entre l’Algérie précoloniale et l’Algérie moderne. Nationalistes et communistes cherchaient à dépasser ce dualisme, à le corriger pour se déterminer en fonction de la question coloniale ou des intérêts de classe. Les nationalistes populistes parviendront temporairement à atténuer ce clivage qui recoupe également la division horizontale avec d’un côté la majorité de l’élite sociale et de l’autre les masses. Mais le prix à payer sera lourd : ils devront renoncer à un projet de société au profit d’un projet de communauté, et donc accepter que, dans les représentations de la nation, l’islam constitue le réfèrent premier, la langue arabe, langue sacrée, en étant le véhicule. Une culture citoyenne supposait la reconnaissance d’une spécificité berbère, la séparation du politique et du religieux condition sine qua non de l’égalité entre musulmans et non musulmans, entre hommes et femmes. Or, pour les nationalistes populistes, le principe de la nation ne reposait pas sur la croyance de la liberté face à l’État et en une humanité surmontant les frontières religieuses et ethniques. Alors que l’individu se trouvait engagé dans un processus qui tendait à le libérer des liens .lui le rattachaient à des communautés organiques. La voie vers l’État national passait chez eux par le renforcement de ces liens et la régénération des valeurs religieuses. Il n’y avait de liberté possible que pour l’État.
La contradiction entre la réalité sociale et sa traduction idéologique empêchait l’affirmation d’une algérianité ouverte et provoquait une tension permanente entre le particulier et l’universel. Le contenu de l’identité nationale va être, par la force des choses, la source d’affrontements sans fin. Nulle part au Maghreb, le combat politique n’a autant intégré qu’en Algérie la religion et la langue dans la définition de la personnalité. Ce destin singulier rendait très difficile le rassemblement d’un mouvement national, dominé par des classes moyennes divisées mais poussé en avant par des classes populaires impatientes d’en découdre avec la domination étrangère. Le Front de libération nationale a donné une réponse à ces impasses en prenant le parti de la mobilisation autoritaire. A l’instar des oulémas dans les années 1930 et du Parti algérien plus tard, il a mis en œuvre pour s’enraciner dans les milieux populaires le principe islamique de la censure des mœurs. Loin de dissocier le politique du religieux, le FLN jouait de leur confusion à des fins instrumentales. Engagé dans la voie d’une reconquête de la souveraineté par la guerre, d’une « révolution » militaire et rurale, il a mis fin à l’autonomie des groupes sociaux, annexé le levier de la religion en obligeant l’association des oulémas à se dissoudre et les confréries religieuses à lui faire allégeance. La mobilisation fondée, malgré les apparences, sur les groupes primaires conduira les dirigeants à se commettre avec l’ordre patriarcal et à renouer avec les vieilles formes de pouvoir. L’édification d’un État fort face à une société faible, maîtrisée avec un coût social, énorme, reproduisait dans des conditions nouvelles (stratification sociale, accroissement des ressources politiques du centre, formation incomplète d’un marché national) un trait ancien ; toutes les composantes de la société sont considérées comme de simples rouages d’un État où les allégeances personnelles, les relations patrons-clients remplacent les engagements politiques et idéologiques, et où l’économie est soumise à la loi du politique. Si l’on excepte sa position favorable à la séparation du politique et du religieux, le marxisme d’inspiration soviétique n’apportera pas de correctif comme en témoigne sa méfiance à l’égard de l’expérience vite étouffée de l’autogestion entre 1962 et 1965.
Le retour du refoulé
Qu’ils soient inspirés de l’islam, du libéralisme ou du marxisme, les dirigeants algériens fascinés par le modèle militaire ont toujours été réticents à admettre une société constituée hors de l’État. Les valeurs identitaires ont été forgées en vase clos par des minorités restreintes, remaniées et réinterprétées par les populations en fonction de leurs intérêts propres et de mœurs patriarcales. L’identité algérienne s’est formée par couches successives dans des conditions qui ne favorisaient pas l’intégration de ses éléments constitutifs. Au vieux fonds berbère sont venus s’ajouter les sédiments déposés par l’islamisation et l’arabisation et ceux de la domination française. Avant novembre 1954, les élites ont commencé à percevoir que la formation de sentiments identitaires de juxtaposition, berbère, arabo-islamique, algérianiste s’opposait à la construction d’une Algérie ouverte, tolérante, démocratique. Après novembre 1954, la mobilisation autoritaire va permettre la libération du pays mais en bloquant cette prise de conscience. La modernisation mise en œuvre depuis l’indépendance inaugure une transformation par en haut qui, par bien des aspects, rappelle le schéma de la révolution passive décrit par Gramsci. Les élites, à partir d’un projet qui leur était propre, voulurent au nom de la rationalité et du progrès forger un pays moderne en faisant obstacle à toute « conscience populaire nationale, répandue et opérante ». Elles n’ont réussi qu’à mettre en place un système de rentiers. Ce système entraînait l’adhésion de tous sauf de ceux qui travaillent réellement ; entrepreneurs publics et privés, bureaucrates salariés, rentiers, tous y trouvaient leur compte. Économistes, démographes et sociologues ont attiré l’attention sur les blocages inhérents à ce modèle de développement et sur la destruction intense du tissu social qu’il induit ; rien n’y fit. La rente pétrolière permettait de colmater les effets pervers : ruine de l’agriculture, gel des équipements collectifs, sureffectifs dans les entreprises variant de 75% à 110%, constitution d’une épargne non investie plusieurs fois supérieure au revenu national, etc… Les grandes luttes entre les tenants du pouvoir portaient sur le modalités de réparation de la rente. Leurs stratégies dans les rapports avec la société prenaient appui sur un compromis de type clientéliste. L’État distribue sous des formes multiples (licences, contrats, prébendes, emplois) les ressources. En retour les populations, dessaisies de tout contrôle du pouvoir, lui font allégeance et reconnaissent sa légitimité.
Dans ce système, la possibilité de s’enrichir et la domination du champ social dépendent de la relation à l État et de la position qu’on détient dans la hiérarchie de pouvoir. Pour accéder à la gestion privative de l’héritage colonial ou de la rente pétrolière, les couches dirigeantes sélectionnent par cooptation, s’organisent en factions et en clientèles. D’une part le modèle politique multiplie les groupements d’intérêts qui interviennent directement à tous les niveaux de l’État et contribuent à son incohérence et à sa paralysie. D’autre part, l’enchâssement de l’économie dans le politique le soumet aux lois de la régulation politique, le but étant le maintien de la stabilité sociale. La rupture entre l’État et la société annoncée par des signaux d’alarme comme les grandes grèves avortées des années 1975-1980, les revendications culturelles en Kabylie (1980), les manifestations des lycéens (1984) et des étudiants à Constantine (1986) sont suivies du séisme d’octobre 1988 qui prend pour cible l’État FLN et ses institutions. Le contrôle policier ne suffisait plus. La distribution des prébendes n’était plus possible depuis 1986 à cause de la rétention de la rente pétrolière et du poids de l’endettement extérieur. L’exacerbation des luttes internes avait montré au grand jour la nature prédatrice du système État qui a mis à nu les traits patrimoniaux des dirigeants. Après trois décennies de pouvoir FLN, l’Algérie affrontait la démocratisation du système politique, mais celle-ci intervenait dans un contexte particulier : réactivation, à l’occasion des clivages économiques et sociaux, des lignes de clivage fondées sur l’appartenance religieuse, sur l’ethnicité ou sur l’identité régionale, mobilisation dans le cadre des communautés religieuses linguistiques. La modernisation autoritaire avait engendré un repli sur les identités profondes enracinées dans l’inconscient collectif. L’identité berbère en Kabylie, dans l’émigration intérieure et hors d’Algérie d’une part, l’identité islamique d’autre part apparaissent comme les plus mobilisatrices. Leurs premières manifestations ont commencé en 1962. Réprimées, elles vont cheminer souterrainement pour réapparaître au grand jour, dans les années 1970. Je ne traiterai ici que de l’islamisme, dans la mesure où son ascension a été à l’origine du coup d’État militaire du 11 janvier 1992.
La longue marche des islamistes
La question est de comprendre pourquoi le retour du religieux se donne dans une organisation politique forte qui peut prétendre au pouvoir. Ceci s’explique notamment par la politique du FLN en matière de culture religieuse. En évacuant le problème de l’algérianité, cette politique a rendu impossible l’homogénéisation de l’intelligentsia et donc celle de la société. Le procès en sorcellerie intenté en permanence au berbère et au français cache mal l’incapacité du pouvoir à donner une solution à la création d’un outil de communication en arabe, moderne mais non exclusif. Le mépris des dirigeants pour la culture et leur peur de la réflexion intellectuelle les a poussés à procéder à une arabisation-islamisation envisagée comme instrument de contrôle social et orienter prioritairement vers les classes populaires. Par ailleurs la manipulation du religieux pour faire des mosquées des relais du pouvoir les a transformées, le monopole politique aidant, en espaces politiques. L’opération commence en 1962, quand les oulémas demandent à se constituer en corps autonome ; l’État FLN naissant, fort de la légitimité historique, refuse leurs exigences et s’arroge les prérogatives de la religion. Il ne le fait qu’au prix de multiples concessions. C’est ainsi que Ben Bella introduit l’enseignement religieux à l’école et interdit l’alcool dans les débits de boisson. Faute de s’orienter vers une séparation du politique et du religieux, l’État commence à exercer son contrôle sur la sphère privée (surveillance des couples, etc.). Les pressions du président égyptien Gamal Abd El Nasser, alors aux prises avec l’opposition de la confrérie des Frères musulmans, inclinent Ben Bella à ne pas aller plus loin. Mais les oulémas reviennent à la charge en porte-parole du conservatisme social. En avril 1964, Cheikh Bachir El Ibrahimi condamne le socialisme comme une « manifestation d’athéisme » mais l’écho de sa position reste faible. L’inflexion religieuse s’accentue sous Boumédienne, avec l’arrivée d’Ahmed Taleb El Ibrahimi au ministère de l Éducation nationale. Dans son sillage, les oulémas accèdent aux commandes du système éducatif et font de la religion l’idéologie de l’appareil scolaire. Les directeurs de conscience se substituent aux pédagogues, inculquent aux enfants une culture communautaire qui les éloigne de l’histoire nationale. Leur enseignement fondé sur une vision mythique, antihistorique, de l’islam surévalue le domaine spirituel, le sépare radicalement du fonctionnement concret de la société et joue sur la peur du châtiment. Désormais l’école va occuper une place stratégique dans la diffusion islamique et forger l’emprise des islamistes sur l’État et la société. La création des instituts islamiques pour former des imans dévoués à l’État joue dans le même sens. Boumédienne réalise, mais trop tard, les dangers de l’instrumentalisation de la religion et les supprime. L’islamisation du système éducatif produit tous ses effets au moment où l’État n’était plus en mesure de répondre aux attentes des candidats au travail. Pour les arabophones que l’enseignement, la justice et les appareils du FLN n’avaient pu absorber, l’école s’est avérée un facteur de marginalisation. La seule porte qui leur restait ouverte était la carrière politique. Ils vont s’y engouffrer et fournir des troupes combatives à tous les futurs leaders de l’islamisme, des vétérans de l’association des oulémas comme Cheikh Salhnoun, Cheikh Soltani, des nationalistes déçus Abbassi Madani, Mahfoud Nahnah et les activistes d’une génération nouvelle, tribuns du peuple maniant avec brio le langage de la protestation populaire et l’enrobant dans le vocabulaire religieux. Mais ces nouveaux venus à la politique sont encore légalistes et réagiront prudemment en 1982 à l’arrestation de leurs chefs en organisant des sit-in.
La consécration du mouvement islamique intervient en octobre 1988 quand le pouvoir, croyant à tort que les émeutes étaient le prolongement des grèves ouvrières, arrête et torture les militants de gauche et fait d’Ali Belhadj son intermédiaire pour gérer les débordements de la rue. Les mosquées deviendront alors les centres de la contestation.
Les stratèges de la Présidence avaient multiplié les erreurs de manoeuvre, déjà avant 1988. Situant le danger à gauche, ils n’avaient cessé de quadriller le monde ouvrier et ‘es syndicats pourtant fort peu représentatifs de son mécontentement. Les services de sécurité surveillaient Ait Ahmed Ali Yahia, Abdennour, Ben Bella et les forces qui gravitaient autour d’eux. Ils sous-estimaient les islamistes à cause de leur choix du libéralisme économique, oubliant qu’à travers le FLN et les appareils de l’État, ils disposaient de points d’appui institutionnels. Les technocrates, sans contacts avec la réalité sociale et sans expérience politique, qui entouraient les décideurs, leur laissaient croire qu’après la réforme du système politique de février 1989 et les réformes économiques qui supprimaient les monopoles économiques de l’État les choses iraient mieux ; les adversaires du régime étaient incapables de proposer à la société un modèle social de remplacement. Cependant, alors que la débureaucratisation piétinait et que la décomposition de l’État s’accélérait, le FLN qui n’a jamais pris au sérieux la possibilité de l’alternance s’enlisait dans les scandales et les règlements de compte. Le Président, clé de voûte du système, n’incarnait pas la démocratie. Il était lié aux factions qui l’entouraient et le conseillaient et cherchait à réaliser ses buts bien au-delà des limites constitutionnelles. Le compromis civique nécessaire à l’homogénéisation de classes moyennes pusillanimes, récemment converties à l’idéologie des droits de l’homme et plus soucieuses de se partager l’héritage colonial que du bien public, lui importait peu. La manière dont les nouveaux partis ont été agréés, leur financement sont à cet significatifs de la manipulation du champ politique. Peu de partis ont réussi à se prémunir contre la corruption et l’instrumentalisation par le pouvoir.
L’effondrement de l’ouverture
Aucun système social ne peut durer sans satisfaire les besoins élémentaires du peuple. Pendant des décennies, la bureaucratie et l’armée ont eu le pouvoir. Le FLN qui leur était associé mais subordonné voilait leur domination et la cautionnait par sa légitimité historique. Le caractère autoritaire de la structure politique apparaissait anormal aux yeux des classes moyennes. Mais le rétrécissement de la base sociale du FNL qui intervient entre 1962 et 1988 éclata au grand jour avec la récession de la rente pétrolière et le développement d’une société duale dans laquelle les laissés pour compte étaient les plus nombreux. Le conflit des générations consécutif à un développement démographique accéléré se fit jour. La décrébilisation de toutes perspective de transformation de la société, la fin du système redistributif et le renforcement des inégalités exacerbèrent les contradictions du régime ouvrant l’ère des luttes de factions au sein du FLN entre libéraux et étatistes, laïcisants et islamistes. Les groupes privilégiés, que le système rentier drapé dans le manteau du « socialisme » avait créés ne disposaient ni d’une idéologie universellement acceptée susceptible de maintenir leur cohésion, ni de la capacité de s’orienter vers un nouveau consensus social. Le pouvoir souverain résidait dans l’armée mais ses chefs, après la répression sanglante d’octobre 1988, admirent que le contrôle policier ne pouvait plus être le moyen premier du pouvoir social et politique. Une phase de recomposition politique s’imposa dans un pays appauvri où les antagonismes sociaux et la fracture dans l’intelligentsia s’étaient polarisés favorisant une configuration du politique fondée sur l’utopie islamiste. Dans ces conditions, le pluralisme ne pouvait fonctionner durablement en l’absence d’une société civile multiple et conflictuelle capable d’exprimer sur le mode politique ses intérêts et reconnaissant la liberté de conscience, l’égalité de l’homme et de la femme et la primauté du citoyen. Le processus électoral bénéficia aux islamistes qui tournaient le dos à toutes ces valeurs. Leur victoire aux municipales de juin 1990, les manoeuvres du FLN pour bloquer la voie de l’alternance en faisant voter par une assemblée nationale élue sous le régime du parti unique une loi scélérate ouvrent la crise. C’est la lutte frontale, l’état de siège et le retour de l’armée sur une scène qu’elle n’avait jamais en fait quittée.
L’expérience menée entre février 1989 et janvier 1992 montre que les forces capables de faire basculer l’Algérie dans le champ démocratique sont faibles, que l’unité du pays est d’autant plus fragile que les litiges territoriaux avec le Maroc et la Libye restent pendants et que les conflits entre les Touaregs et le Mali e répercutent gravement à Tamanrasset.
Après trois décennies d’étouffement de la parole, la sphère politique se réduit à une logique de pouvoir à l’intérieur des communautés religieuse et linguistique et des appareils (armée et partis).
Le coup d Etat militaire du 11 janvier 1992 était attendu depuis trop longtemps pour surprendre. A posteriori la nomination du général Larbi Belkheir au ministère de l’Intérieur apparaît comme un moment du scénario mis au point par les militaires pour écarter le Président Bendjedid. Après juin 1991, les chefs de l’armée ne cachaient pas que leurs vœux allaient à un pouvoir fort décidé à mettre au pas le FIS et celui-ci savait qu’il ne pouvait se frayer un chemin que contre leur volonté…
La paralysie des appareils de l’État après la victoire du FIS, laissait présager une poussé irrépressible en sa faveur, précipitant l’intervention militaire. L’atmosphère dans le pays rappelait l’effervescence qui précéda la marche au pouvoir du FLN en mars 1962. La grande cohorte des disponibles et des laissés-pour compte s’apprêtait à la revanche. On comparait volontiers le sont à venir des gouvernants et des couches qui leur sont liées à celui des pieds-noirs. L’intervention de l’armée s’est appuyée sur une constellation de forces contradictoires. Au côté des entrepreneurs publics et privés on trouve les syndicats et une grande partie de l’intelligentsia. Ces forces se sont assuré la caution de Boudiaf, cofondateur du FNL et opposant depuis 1963. Le seul problème immédiat est celui du rapport entre ces différentes forces, de leurs convergences et de leurs divergences. Des ruptures et des reclassements sont inévitables. Selon Mohamed Boudiaf, faute d’une société capable de porter la liberté, il faudra en passer par 1 Etat qui doit éduquer à cette fin les citoyens. Est-ce le retour à l’État tutélaire et à l’option étatique de la modernité ?
L’évolution de la situation en Algérie pose aux forces démocratiques des questions difficiles. Elle doit les résoudre en fonction de ses principes et de ses perspectives propres. Il n’y a pas de sens à parler, comme le font certains, de défaite de la démocratie, après l’arrêt du processus électoral. D’une part, le pluralisme concédé par l’État FLN était vicié et biaisé. Ce n’était qu’un desserrement de l’autoritarisme. D’autre part, la démocratie incarne aux yeux des islamistes le pouvoir du peuple souverain. Or, eux affirment à qui veut bien les entendre qu’ils ne reconnaissent que la preuve coranique et non l’opinion majoritaire.
Il n’y a pas de sens non plus à identifier l’appui que les classes populaires apportent aux islamistes, à la défense des intérêts de ces classes. L’expérience du fascisme en Europe et celle de l’Iran nous montrent que le glissement des grandes masses dans les conjonctures de crise correspond pas nécessairement à la satisfaction de leur soif de justice, d’égalité, de dignité. L’idéologie islamiste se distingue de l’autoritarisme, y compris celui des militaires, par son caractère totalitaire, son viol permanent des consciences, son sexisme et sa fusion avec la terreur. Est-ce à dire qu’il faut soutenir l’armée, occulter que derrière elle s’agite à côté des syndicats et d’intellectuels critiques le parti de la peur sociale et du privilège ou s’identifier à son action ? Nullement. La marche vers la démocratie n’est possible qu’avec les moyens de la démocratie. La répression du délit d’opinion et l’ouverture de camps d’internements n’y mènent pas, pas plus que la répression. Il n’est pas admissible que des milliers d’hommes soient arrêtés et internés dans des conditions précaires uniquement pour leurs convictions. Dans « Où va l’Algérie ? », Mohamed Boudiaf, arrêté du 21 juin au 16 novembre 1963 décrit son internement à Colomb-Béchard puis à Tsabit à 65 kilomètres au nord d’Adrar. Il y évoque les chaleurs insupportables de l’été. Peut-être s’en souviendra-t-il en pensant aujourd’hui aux islamistes ?
Harbi Mohamed
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Rachid Mimouni (1945-1995)
Sept clés pour comprendre l'intégrisme islamiste
C’est à un moment où la société et ses politiciens tergiversaient sur la nature de la mouvance religieuse qui s’abattit sur l’Algérie après l’ouverture du champ politique (1988), que des plumes se sont élevées pour dénoncer ce qui était un fascisme théocratique. Des intellectuels francophones et arabophones se sont mis au travail pour comprendre la vague qui portait le Front Islamique du Salut, à la tête duquel trônaient les sinistres Belhadj et Madani. La réplique intégriste contre ce travail ne s’est pas faite attendre : les intellectuels étaient traqués et assassinés un à un, ils tombaient dans des attentats individuels à l’arme blanche ou à l’arme à feu. Un climat de terreur s’est instauré chez les gens de la plume : ils rasaient les murs, sortaient « comme des voleurs », se déguisaient pour aller en ville et s’autocensuraient. Les plus chanceux ont gagné les capitales européennes, dépeuplant ainsi les universités algériennes et les livrant à la toute puissance de l’islamisme. C’est contre ce climat de terreur que s’est révolté un Tahar Djaout en écrivant : « tu dis, tu meurs. Tu te tais, tu meurs. Alors dis et meurs ! ». Il a été en effet tué le 26 mai 1993, ouvrant une longue liste de ce qui se révéla être un véritable carnage des penseurs algériens entre 1993 et 1997 approximativement. (Cf. une liste des intellectuels assassinés)
En pleine terreur, dans un moment de détresse collective, un penseur qui n’appartenait pas à la caste des hommes hyperprotégés du sérail ou à celle des dignitaires privilégiés, un homme qui vivait dans un bâtiment EPLF d’une cité populaire (équivalent d’un HLM) a osé braver la peur. Il fait paraître en Algérie un livre retentissant au titre on ne peut plus clair : De la barbarie en général et de l’intégrisme en particulier (1992). C’est ce qu’on appelle, au sens fort, risquer sa vie. En effet, les islamistes intégristes se sont immédiatement acharnés sur l’écrivain pour l’éliminer et plusieurs attentats n’ont pas eu raison de lui. Il mourra finalement d’une maladie dans un hôpital parisien, après avoir été contraint à l’exil.
Cet homme s’appelle Rachid Mimouni. Ses idées survécurent. Les voici :
Première clé pour comprendre l’islamisme :
Le FIS n’est pas un parti politique mais une résurgence du Moyen Age maghrébin
Loin d’être organisé comme un parti politique contemporain, avec des instances locales, provinciales puis nationales, élues par les adhérents et renouvelées à échéance déterminées, le FIS est une nébuleuse instable. Il n’a jamais tenu de congrès ordinaire, n’a ni statuts, ni règlement intérieur. Il s’est présenté aux élections de 1991 avec pour seul programme le Coran. Ses réunions sont souvent secrètes et tenues à huis clos. Son seul organe reste un Conseil Consultatif (Madjlis al-choura) dont on ne connaît ni le nombre de sièges, ni les noms exacts des membres, ni la durée de leur mandat. Il n’a ni président, ni secrétaire général mais seulement deux leaders autoproclamés et quelques personnalités qui gravitent autour d’eux.
«Ce sont des prédicateurs et ils s’inscrivent en cela dans la pure tradition historique maghrébine » (p. 17). Les leaders du FIS entretiennent donc une « obscurité délibérée » (p. 17) sur leur mouvement. Nul besoin d’un programme, il suffit de prêcher « la voie droite ». « Comme leurs modèles du Moyen Age, ils ne songent qu’à ramener le peuple vers l’orthodoxie religieuse » (p. 18). Ils ressemblent en cela aux Maïssara (à l’origine de Tahert), Obeïd Allah (au service des Fatimides), Ibn Tumart (Almohade), etc.
Deuxième clé :
L’idéologie intégriste est un archaïsme
Le credo par excellence de l’islamisme est « un retour à la pureté originelle de l’islam » (p. 21). Ce retour se fait concrètement par l’adoption d’un mode de vie censé avoir court au temps du Prophète. Barbe, tenue vestimentaire, khol, sommeil à même le sol, interdiction de la musique, etc. « Toute évolution au niveau des mœurs ou des pratiques devient suspecte d’hérésie » (p. 22). Refus du calcul astronomique pour fixer d’avance le premier jour de Ramadhan, refus du calendrier solaire et du week-end universel, interdiction du maquillage et de la cigarette (inconnue du Prophète) pendant le jeûne, attachement à une interprétation littéraliste sans tenir compte des changements du monde (moyens de transport bouleversant la notion de voyage par exemple). Les crimes ne sont pas loin : couper la main au voleur, couper la langue du menteur, crever l’œil du faux témoin, lapider la femme adultère, etc. « Chaque fois que les croyants interrogeaient leurs guides pour savoir si l’usage de telle ou telle commodité était licite, un « La Yadjouz » (ce n’est pas permis) tombait comme un couperet » (p. 25). On s’accroche à l’état archaïque du monde du VIIème siècle et on refuse tout changement ultérieur au nom d’un islam pur et littéral.
Troisième clé :
la femme chez les islamistes est comme le Juif chez Hitler
«Il reste que, chez les islamistes, la femme est l’objet d’une fixation obsessionnelle, comme le juif pour Hitler »Hitler» (p. 29). «Elle est la source de tous les tourments. L’inadmissible est qu’elle ait un corps, objet des désirs et fantasmes masculins. Sa beauté devient une circonstance aggravante. Tout apprêt ou parure devient une incitation intolérable » (p. 29).
«La question sexuelle reste l’un des fondements du projet islamiste. Contrait au réalisme, les intégristes accepteraient d’accommoder nombre de leurs principes (…) mais certainement pas le sort promis à la femme » (pp. 43-44)
Le hijjab (le voile et non le foulard) n’est d’ailleurs pour eux qu’une façon d’occulter la sexualité, incarnée par le corps de la femme. Cachez-moi ce corps désirant que je ne saurais voir…
Quatrième clé :
Hijjab (voile) et Qamis (robe blanche) constituent l’uniforme intégriste
Le voile dans les pays où les masses sont fanatisées, loin d’être une question de liberté de culte ou de liberté tout court, est un signe de ralliement et d’embrigadement. C’est une uniformisation des masses par le vêtement qui précède une uniformisation de la pensée. Arborer un hijjab dans ces sociétés, c’est se rallier à une certaine éthique du couple indissociable du projet politique intégriste. C’est adopter « la voie droite » et situer de facto les autres (moutabaridjât) dans la dépravation et l’immoralité.
« Le hijjab est une invention géniale car il illustre la conception qu’ont les intégristes de la relation de couple. Ses larges plis, qui occultent les formes de la femme, découragent toute entreprise de séduction. Il procure surtout une formidable sérénité aux disgracieuses, grosses ou difformes, puisque l’ample tunique cèle les défauts de l’une et les attraits de sa rivale. Le voile est destiné à inhiber le désir masculin. Leur corps occulté, les femmes se retrouvent interchangeables, réduites à leur organe génital. On parvient ainsi à refréner l’émergence de tout sentiment amoureux et à rabaisser l’acte sexuel au niveau d’un besoin trivial. On fait l’amour comme on va aux toilettes » (p. 48)
Mimouni relève que le même souci de distinction vestimentaire caractérise les mouvements fascistes italien, nazi allemand et islamiste algérien. « Au chemises noires ou brunes correspondent le qamis et la barbe. Leurs militants aiment se coudoyer dans d’immenses meetings afin de se compter et d’éprouver cet enivrant sentiment de puissance de se voir ainsi par milliers regroupés. Ils vibrent de conserve aux discours enflammés de leurs tribuns. Cela donne lieu à des orgasmes collectifs. Les mots d’ordre qu’ils clament finissent par avoir un contenu magique. Fascisme, national-socialisme ou république islamique se retrouvent dotés d’un sens nouveau, radical ou utopique. Une réelle solidarité et d’obscurs désirs de revanche les rapprochent. » (p. 153)
Il faut ajouter à ce tableau la volonté délibérée des trois mouvements de recourir à la violence et la constitution à leur périphérie d’obscurs groupuscules faits d’illuminés, de fanatiques, de nervis terroristes, de « désaxés de tout genre » prêts à agir le moment venu.
Cinquième clé :
l’intégrisme est l’ennemi des intellectuels
« Comme tous les mouvements populistes, l’intégrisme est ennemi des intellectuels et de la culture. Son discours fait appel à la passion plutôt qu’à la raison, à l’instinct plutôt qu’à l’intelligence. Toute activité intellectuelle doit se consacrer à l’approfondissement de la connaissance du message divin. Toute forme de création est taxée d’hérétique parce qu’elle est perçue comme faisant une coupable concurrence à Dieu. Le projet islamiste se propose donc d’étouffer toutes les formes d’expression artistique : littérature, théâtre, musique et bien entendu peinture » (p. 51)
Après juin 1991, les islamistes fermèrent la cinémathèque d’Alger, prétextèrent des problèmes d’hygiène ou des travaux de rénovation pour faire cesser l’activité des centres culturels, asphyxièrent financièrement nombre d’institutions de culture ou de loisir, interdirent par la violence des galas, des expositions, etc. avant de passer purement et simplement au meurtre des producteurs culturels après 1993 : écrivains (Djaout), hommes de théâtre (Alloula), chanteurs (Hasni), etc.
« Les sciences humaines restent globalement suspectes à leurs yeux. A l’université, elles se sont transformées en cours de propagande. » (p. 54)
Sixième clé :
Intégrisme récupère la pauvreté
Les intégristes reçoivent de l’argent par le biais de diverses banques islamiques, ligues et associations religieuses. La manne provient essentiellement de l’Arabie Saoudite, des pays du Golf, du Soudan et de l’Iran et des collectes naguère organisées en Occident. Ils fructifient ensuite cet argent dans le trabendo (marché noir parallèle au marché), en enrôlant un nombre de chômeurs algériens. Au final, les caisses sont pleines, ce qui leur permet de porter secours aux pauvres, aux sinistrés, aux victimes des inondations et des séismes, aux mal logés et aux sans-abri, tout en récupérant ce beau monde dans le cadre de l’idéologie islamiste. Contrairement à l’absence et à la corruption de l’état, l’intégrisme gagne à lui les masses et progresse socialement et électoralement. Les terrains où se fait sentir une misère matérielle, un mécontentement populaire, une frustration larvée, un ressentiment, sont les terrains de recrutement par excellence de l’islamisme.
Septième clé :
L’intégrisme est promu par l’enseignement et les média
« La politique d’éducation épaissit d’une nouvelle strate le terreau intégriste. Les pas de clercs et les incohérences des programmes d’enseignement constituent sans doute une des causes du retour de la barbarie » (p. 121)
Aux lendemains de l’indépendance, pour combler son manque de personnel de l’éducation, l’Algérie a importé des enseignants d’Egypte, qui répandirent l’idéologie panarabiste parmi les élèves. L’arabisation politique, destinée à récupérer l’héritage linguistique arabe spolié par la colonisation, se transforma en apologie de l’islamisme et en mépris des langues locales et populaires. Menée à la hâte, cette arabisation était dépourvue de moyens pour incarner une ouverture vers la modernité. Elle se rabattît sur les dogmes islamiques du Moyen Age et sur la sacralisation de l’idiome coranique, à un moment où le reste des secteurs économiques sensibles fonctionnait encore en français. La bi-partition des compétences et des élites crée des frustrés, une partie de la population semi-lettrée se trouvant exclue du jeu économique. C’est cette partie qui, privée des moyens matériels et intellectuels modernes, s’identifia aux modes de vie rétrogrades. Elle vint par la suite grossir les rangs de l’intégrisme et stigmatiser les « francisants » privilégiés (moufanassoun).
Par ailleurs, des millions d’élèves écoutent chaque jour un catéchisme inspiré par les prédicateurs du Moyen Age comme Ibn Taymiyya. La télévision et les radios nationales retransmettent ces discours tandis que l’école se chargeait de les enseigner dés le jeune âge.
Résultat d’un système éducatif désaxé, incapable d’amarrer les écoliers sur les acquis de la culture universelle tant spirituels que matériels, l’intégrisme sait d’où il vient. Aussi, ses promoteurs sont-ils farouchement opposés à la réforme de l’école qui leur permet de se reproduire. Ils pensent que celle-ci doit enseigner, à côté des matières techniques supposées « neutres » (sciences dites dures), les dogmes coraniques, les certitudes divines et les principes de la foi. Aussi tendent-ils à expurger de l’éducation le doute, la raison, l’esprit critique, la relativisation historique ou la discussion herméneutique qui caractérisent les sciences humaines.
Conclusion :
Quelle démocratie pour l'Algérie?
Le droit d’élire librement ses représentants n’est concédé qu’à des citoyens mâtures (pas à des enfants par exemple). Si l’analphabétisme perturbe l’exercice du jeu démocratique, le fanatisme le fausse gravement. Comment concéder la maturité à un « citoyen » convaincu que mettre le bulletin du FIS dans l’urne est une condition pour aller au paradis ? Comment convaincre un barbu muni d’une liasse de procurations que ses filles doivent accomplir elles-mêmes leur devoir électoral ? Comment fonder un état avec un « leader » islamiste qui proclame abroger la démocratie une fois au pouvoir ?
On ne parle pas de la vieille qui met la photo de son fils chahid (martyre) tué pendant la guerre d’Algérie dans l’urne, de l’Algérien moyen perdu dans le choix de 36 candidats, du quinquagénaire qui demande au chef du bureau quel bulletin il faut mettre, du jeune homme qui vient voter FLN pour avoir –croit-il– droit à un passeport, et de tous ceux qui viennent les « aider » avec des barbes opulentes. Comment expliquer aux Algériens, venus voter sur le Maître des lieux et le dépositaire du pouvoir (sultan, président ou monarque), qu’ils ne s’agit en réalité que de législatives ou de communales ? Comment leur demander de revenir au deuxième tour, alors qu’ils estiment avoir déjà voté le premier tour ? Comment imprimer des programmes et une littérature politique destinée aux membres d’une tribu dont le chef seul décide du vote de sa communauté ? Etc.
« Tu ne peux pas deviner, assurait un chef d’un centre de vote à Mimouni, ce qui peut se passer dans un bureau de vote. C’est inimaginable. Figure-toi que, dans l’urne provenant du bureau réservé aux femmes, on a trouvé quarante bulletins « Non ». Heureusement qu’on a pu s’en rendre compte et les changer » (p. 142)
Dans ces conditions, il n’y a que certains occidentaux, dont l’intégrisme rivalise avec celui des islamistes, pour réclamer l’application intransigeante et littérale du principe démocratique. « La démocratie suppose que soient réunies les conditions qui en permettent le sain exercice » (p. 152). Or, de toute évidence, tel n’était pas le cas après le premier tour des élections législatives de 1991 en Algérie. Le FIS, avant même de gagner, planifie l’iranisation du pays et met en place son fascisme théocratique. L’interruption du processus électoral a été un acte patriotique qui a épargné aux Algériens des décennies de charia, de lapidation, de mutilation publique, etc. Il n’a pas été effectué à l’instigation de la seule armée, comme le suppose ses détracteurs, mais le premier appel est venu des intellectuels menacés et de la société civile. L’armée algérienne elle-même n’est pas dépourvue d’intégrisme et l’écrasante majorité de ses généraux sont des houdjadj.
Mais comment établir une démocratie dans un pays où l'islamisme, vaincu militairement, se régénère socialement à vue d'œil...
Citations de Rachid Mimouni
« La religion a ainsi fini par investir tous les lieux de l’espace social, du culturel au scientifique. En ce cas, la barbarie n’est jamais loin. Les hommes de culture auraient été les premières victimes de ces souffles ravageurs » (p. 57)
Les intégristes « promettaient l’instauration de tribunaux populaires pour juger les « mal-pensants », la lapidation des femmes adultères, la mutilation des voleurs à la tire, l’obligation pour les filles de porter le hidjab, l’interdiction de la mixité à l’école, etc. Le projet islamiste, dans sa radicalité et dans sa démesure, tient à la fois de la révolution culturelle chinoise et du régime des Khmers rouges. » (pp. 149-150)
« Il fallut l’immense talent de Soljenitsyne, le formidable acharnement de Sakharov et le courage de tant d’autres intellectuels dissidents soviétiques pour faire prendre conscience aux intellectuels européens de l’abjection du goulag stalinien, occultée alors par l’utopie socialiste. Leurs émules s’obstinent à ignorer ce qui se passe en Iran et au Soudan » (p. 150)
« Vis-à-vis de l’expérience politique algérienne, les occidentaux ont eu l’attitude de cette catégorie de médecins qui s’intéressent plus à la maladie qu’à l’état du patient et aux risques qu’il encourt. Le cas était inédit et fournissait donc un excellent sujet d’étude. (…) Quant à l’état du malade, ils s’en lavent les mains, comme l’a fait Ponce Pilate lors de la crucifixion de Jésus » (p. 149)
« En pariant sur la prévisible modération d’un régime intégriste, on oublie que sa base le pousse vers une radicalisation forcenée » (p. 155).
L’intégrisme est une imposture. Il discrédite le message de Mohammed en en donnant une image d’intolérance mâtinée de violence, et de son temps, le Prophète n’a pas manqué de dénoncer le dogmatisme » (p. 156)
« Quelques uns de nos compatriotes adoptent une position qui rejoint en de nombreux points celles des Occidentaux. Au-delà de l’influence qu’exercent sur eux les médias des pays où ils vivent, je crois qu’il existe dans leur attitude une part de sadisme. D’outre mer, ils nous accusent de diaboliser les intégristes mais se gardent bien de venir partager le sort de leurs concitoyens. » (p. 156)
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Sources :
- Rachid Mimouni, 1992, De la barbarie en général et de l'intégrisme en particulier, Belfond-Le Pré aux clercs.
- Les caricatures de Dilem sont ici
Source :
http://anglesdevue.canalblog.com/archives/2008/01/10/7518463.html
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OUARY Malek
Biographie
1916 - 2001
Né(e) à Ighil Ali (Kabylie aux Ath Abbas)
Malek Ouary, né le 27 janvier 1916 à Ighil Ali, Kabylie aux Ath Abbas, dans le massif de la porte (Bibans), est décédé le 21 décembre 2001 à Argelès-Gazost. Parents berbérophones, et langue maternelle le kabyle. Sa première enfance est imprégnée du cadre et du mode de vie traditionnels. Après des études primaires au village, secondaires et supérieures à Alger, il débute dans l’enseignement. Il ne prend conscience de l’existence et de la valeur de son patrimoine culturel que parvenu à l’âge adulte. C’est pour lui une révélation. Il se consacre dès lors entièrement à cet héritage méconnu. C’est ainsi qu’il recueille de nombreux documents de la tradition orale dont il diffuse des traductions dans les médias (journaux, revues, radios). Dans l’édition, il fait paraître plusieurs ouvrages dont une anthologie de poèmes kabyles traduits en français et trois roman.
L’auteur
Ecrivain de langue française, collecteur de la tradition orale kabyle, Malek Ouary est né le 27 janvier 1916, dans une famille de Kabyles chrétiens de Ighil-Ali, village que l'autobiographie de Fadhma Amrouche* a rendu célèbre. Après des études primaires au village natal, il poursuit ses études à Alger où il devient par la suite journaliste à Radio-Alger. Son activité journalistique a contribué à faire connaître le patrimoine culturel kabyle : danse, musique, chants, poèmes et contes. Il a commencé à recueillir les productions orales kabyles dans son village, puis par des enquêtes, dans toute la Kabylie et dans l'émigration kabyle en France ( Par les chemins d'émigration, précédé de Colliers d'épreuves, 1955). La production littéraire de Malek Ouary a obtenu la faveur de la critique et du public en 1956 lors de la publication de son premier roman. Le grain dans la meule.
Pour continuer son activité de journaliste pendant la guerre d'indépendance, Malek Ouary a émigré à Paris où il a travaillé à l'ORTF. Marié en France, il y a poursuivi sa carrière de journaliste et d'écrivain, en publiant une collecte des poèmes kabyles, Poèmes et chants de Kabylie (1974), et son deuxième roman. La montagne aux chacals (1981).
A présent, en retraite, il a terminé son troisième roman. La robe kabyle de Baya et il est en train d'écrire un essai sur son village d'Ighil-Ali durant la période d'activité missionnaire des Pères Blancs.
Au cœur de l'activité littéraire et journalistique de Malek Ouary se trouve donc son intérêt passionné pour la langue et la littérature kabyles qu'il a (re-)découvertes après la «rupture intégrale», lorsque, étudiant à Alger, il a été sevré de sa culture et de sa langue par l'exclusivisme culturel du système scolaire français de la période coloniale. « Mon entrée à l'école a revêtu pour moi un caractère singulier : «on m'y envoyait en quelque sorte pour y désapprendre ma langue afin de m'initier à une autre» (Poèmes et chants de Kabylie, 1974 : 13). Il mentionne la grande impression, «l'illumination», suscitée en lui par la lecture deChants berbères de Kabylie; ce texte de J. Amrouche* lui fit prendre la décision durable de travailler de toutes ses forces, en utilisant la culture française acquise, à la sauvegarde et à la diffusion de la culture kabyle et berbère. Son expérience individuelle et la situation socio-historique lui faisait craindre, comme à Jean Amrouche, la disparition du patrimoine culturel kabyle. Son activité se concentre alors sur la collecte de documents, souvent uniques, comme l'enregistrement des chorales féminines du pays des Aït-Abbas dans les années 50, la traduction de poèmes et de contes, l'enquête sur la narration littéraire dans la société kabyle.
Dans son écriture littéraire, on retrouve l'interaction de tous ces éléments. Par exemple, le noyau du récit dans Le grain dans la meule, ce lien tragique entre amitié, honneur et mort, est l'élaboration d'un événement narré en tant que fait authentique par un compatriote de l'auteur et initialement recueilli pour une transmission radiophonique. Le manuscrit du roman montre également l'interaction et le passage entre différents registres linguistiques, fruit de l'expérience de l'auteur en tant que journaliste et traducteur de poèmes kabyles. Malek Ouary nous dit' [1] que les dialogues sont modelés par l'usage quotidien en Kabylie, et que des parties entières des discussions à la tajmaat ont été reprises à partir des conversations enregistrées lors de ses enquêtes journalistiques en Kabylie. L'écriture ainsi élaborée donne un ton aulique et élevé au roman et le pose au-delà de l'écriture française « classique », trait qui - et ce n'est pas un hasard - a fait l'objet des recensions diverses, bien que le roman ait été apprécié par la critique de l'époque (Blazat 1956, Pèlerin 1936, Vergnolle 1956).
La critique littéraire actuelle présente les romans en français des auteurs kabyles contemporains de Malek Ouary (Mouloud Feraoun* et Mouloud Mammeri*) comme expression de la période dite «ethnographique» de la littérature algérienne [2] . Cette caractérisation tient à la fois au cadre temporel choisi : des romans situés dans la période pré-coloniale ou qui ne rompent pas complètement avec l'histoire coloniale; au cadre dit «régional»: le choix d'un espace narratif kabyle et de personnages kabyles; et à la question du lectorat : le public français auquel ces romans s'adressent. Bien que de façon moins explicite, on a aussi fait une telle lecture des romans de Malek Ouary (Achour 1990 : 164-65, 233).
Sur la question du lectorat, on doit admettre qu'effectivement les romans de Malek Ouary s'adressaient à un public principalement «français» : l'auteur lui-même nous l'a confirmé, en expliquant qu'à l'époque où il était tout imprégné de culture française, il partageait l'idée que toutes les valeurs lui avaient exclusivement été apportées par l'Ecole, qui tendait à la francisation des élèvs. Ce n'est qu'à la fin de ses études qu'il a pris conscience que «tout lui venait de l'extérieur» et qu'il devait reconsidérer personnellement les choses apprises et surtout l'apport de sa propre culture. Cet aspect rejoint celui du cadre temporel dans Le grain dans la meule. Le fait de s'adresser à un lectorat français et le fait de situer le récit dans la période pré-coloniale correspondent ainsi à ce moment de la réflexion de l'auteur sur l'enseignement reçu, et à la nécessité de faire connaître aux autres pour «reconnaître» lui-même la réalité kabyle: c'est donc un moment marquant dans le développement individuel et artistique de l'auteur. Ce parcours est semblable à celui des personnages principaux dans ses œuvres ultérieures, La Montagne aux chacals et le roman La robe kabyle de Baya ces deux romans, sans que l'on puisse les considérer comme des récits purement autobiographiques, les personnages principaux font l'expérience de la séparation du pays et de sa culture et puis se tournent vers leur communauté, en participant a la guerre de libération de l'Algérie.
Quant au choix «régional», il est indispensable de rappeler qu'il s'agit d'un mouvement très enraciné dans le milieu intellectuel kabyle, et en Kabylie en général dans lequel des stratégies différentes ont été mises en place depuis la fin du XIXe siècle, avec pour but souvent explicite de remettre en cause la subordination ancien ne du kabyle et du berbère par rapport aux autres langues et cultures du Maghreb. Le choix d'une écriture centrée sur la langue et l'espace kabyles est, encore aujourd’hui, une des stratégies caractérisant la création littéraire des auteurs de langue kabyle. Pour ce qui concerne l’œuvre de Malek Ouarv, il a une aspiration vers ce que 1’on peut .appeler une «identité kabyle plurielle», où plusieurs pôles - le monde de la tradition littéraire orale berbère, mais aussi les mutations induites par le contact avec la France et l'utilisation de la langue française - une fonction structurante.
L'auteur affirme aussi que son écriture voudrait toucher à l'universel a travers le particulier, étant entendu que l’universel n'est pas l'universalisation des normes littéraires d'une seule culture, mais l’aspiration à toucher les structures du sentir et de la compréhension humaine.
Malek Ouary appartient à la première génération d'écrivains kabyles qui a produit des œuvres littéraires et des essais importants, contribuant ainsi à la transmission du patrimoine culturel kabyle et à la formation de la riche tradition littéraire «francophone» dans l'espace littéraire kabyle et dans la littérature algérienne.
D. Merolla
Bibliographie
- ACHOUR, C. (sous la dir. de) : Dictionnaire des œuvres algériennes en langue frange, L’Harmattan, Pans 1990.
- BLAZAT, J. : Le grain dans la meule (recension), Le Figaro, sam. 26 mai, 1956.
- DÉJEUX, J. : Dictionnaire des auteurs, maghrébins de langue française, Karthala. Paris, 1984.
- PELERIN, R. : Un nouveau romancier algérien : Malek Ouary, Cahiers religieux d'Afrique du Nord, oct.-dec. 1956,
- VERGNOLLE, C. : Le grain dans la meule (recension), Contacts littéraires et sociaux 15 juin/15 septembre 1956.
Ouvrages
- 1955 : Par les chemins d'émigration, reportage précédé du Collier d'épreuves, (chants et poèmes kabyles traduits). Société algérienne de publication, Alger. 1955.
- 1963 : Le mouton de la fête, Dialogues, n° 3, juillet-août (conte).
- 1974 : Poèmes et chants de Kabylie *, Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1972.
* Cet ouvrage vient d'être réédité aux Editions Bouchène dans la collection Poésies : cliquez sur le titre pour accéder à la page détaillée.
M Ouary a également publié de nombreuses études et témoignages sur la société et la culture kabyles dans des revues de vulgarisation, notamment Algeria (Alger : 1949, 1950, 1951, 1952, 1955).
La montagne aux chacals
Roman
Editeur : Éditions Bouchene
Saïd, jeune paysan sans terre, trime à longueur d'année dans la vallée, à la ferme Lambert, pour nourrir le groupe familial au village. Nous sommes en période d'armistice.
Dans la montagne, c'est le grand marasme : la faim, la maladie, la mort. Le débarquement des alliés au Maghreb suscite des espoirs fous d'abondance. Comme les autres Saïd espère, mais ne voit rien venir. Pourtant si, il reçoit sa feuille de route.
Il a beau revendiquer sa qualité de soutien de famille, se débattre, rien n'y fait. Inexorablement l'engrenage s'enclenche pour faire de lui un valeureux soldat de l'armée d'Afrique. Rudes campagnes de Tunisie, Italie, Provence, Alsace. Le jour de la victoire le trouve en Allemagne, complètement transformé : il a découvert le monde et s'est surtout découvert lui-même. Il a tout lieu d'être fier de ce qu'il est devenu. Il est conscient de sa valeur, reconnue, proclamée, et ses projets pour l'avenir sont à la hauteur de ses ambitions.
Démobilisé, il débarque à Alger. Dès le premier pas il se heurte à l'ordre antérieur avec ses réflexes, ses préjugés, ses comportements. C'est encore et toujours le temps colonial, le temps du mépris.
Rien n'a bougé alors qu'il a tout risqué pour que ça change. Il est bien décidé à réagir. De retour au village, il est foudroyé par ce qu'il découvre. Tout s'écroule.
Un chacal, dans les lentisques, lui montre la voie.
La robe kabyle de Baya
Histoire
Date de parution : 2000
Editeur : Éditions Bouchene
Dans ce roman, qui n'est ni une chronique ni une autobiographie. Malek Ouary raconte l'aventure singulière d’un jeune Kabyle, professeur de lettres dans un lycée d'Alger totalement intégré et assimilé au milieu européen, ayant rompu tout contact avec son monde d'origine.
Survient là guerre d'Algérie.
Le professeur de lettres, marié à une Française et vivant dans les beaux quartiers, se tient soigneusement à l'écart des «événements». Mais il suffit d'une insignifiante scène de rue pour déclencher un processus d'exclusion-répression qui le renvoie à son village natal, où il retrouve ses racines, découvre la lutte de son peuple, et Baya. Tiraillé entre deux mondes, contraint à des révisions déchirantes, il est sommé de se déterminer.
Ce roman est une contribution inédite à l'approche lucide des aberrations coloniales dont les séquelles n'ont toujours pas fini de produire leurs effets.
L'auteur, journaliste et écrivain rigoureux, bouscule ici un certains nombre de préjugés et de tabous qui ont la vie dure.
Le grain dans la meule
Roman
Date de parution : 2000
Editeur : Éditions Bouchene
Il faut lire ce livre ardent et généreux. Les circonstances ne permettent pas aujourd'hui de négliger ce très pur témoignage.
André Dalmas
Le Grain dans la Meule de Malek Ouary est un chapitre à ajouter à la Légende des Siècles. Malek Ouary raconte une histoire, il la raconte fort bien, avec un sens adroit de la ligne et du détail, de la composition, avec une simplicité qui ne va pas sans grandeur et qui retrouve le ton de l'épopée primitive.
Maurice Faure
Une langue dont la sobriété, la noblesse et la familiarité m'ont fait penser au ton des poèmes homériques.
Jean Duché
II me semble distinguer à travers le dialogue de Malek Ouary les qualités authentiques d'un dramaturge. De toute façon, le récit est conduit avec fermeté.
Emmanuel Roblès
Tout cela est d'une incontestable grandeur. Des notations très justes de l'auteur sur sa Kabylie natale. Son début offre plus que des promesses.
Gabriel Esquer
Ce livre est à la fois un documentaire passionnant et une excellente initiation aux mœurs du monde berbère avant l'arrivée des Français.
Maurice Monnayer
Poésie et chants de Kabylie
Date de parution : 2002
Editeur : Éditions Bouchene
Malek Ouary, né le 27 janvier 1916 à Ighil Ali, Kabylie aux Ath Abbas, dans le massif de la porte (Bibans), est décédé le 21 décembre 2001 à Argelès-Gazost. Parents berbérophones, et langue maternelle le kabyle. Sa première enfance est imprégnée du cadre et du mode de vie traditionnels.
Après des études primaires au village, secondaires et supérieures à Alger, il débute dans l’enseignement. Il ne prend conscience de l’existence et de la valeur de son patrimoine culturel que parvenu à l’âge adulte. C’est pour lui une révélation.
Il se consacre dès lors entièrement à cet héritage méconnu. C’est ainsi qu’il recueille de nombreux documents de la tradition orale dont il diffuse des traductions dans les médias (journaux, revues, radios). Dans l’édition, il fait paraître plusieurs ouvrages dont une anthologie de poèmes kabyles traduits en français et trois romans. Par-delà la sensibilité et l’esthétique des poèmes rassemblés, cette nouvelle édition de Poèmes et chants de Kabylie bilingue et complétée, constitue un document anthropologique de premier ordre.
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Ahmed Oumari
Ahmed Oumeri, de son vrai nom Ahmed Belaïd, alias Oumeri, orthographié parfois H'medh U'meri, est un célèbre hors-la-loi et bandit d’honneur algérien de la région de Kabylie. Il a déserté l'armée française pendant la colonisation, courait les montagnes du Djurdjura dans les années 1945. Mort trahi en 1947 dans un guet-apens tendu par l'administration coloniale française avec la complicité de son compagnon d'armes.
Grâce à l’ampleur de son activité rebelle et clandestine, Ahmed Oumeri, a pris la figure d’un héros national célébré et chanté par les plus grands poètes kabyles.
Biographie
Origine et jeunesse
Ahmed Belaïd, voit le jour dans le hameau des Aït Bouaddou au pieds des crêtes du Djurdjura dans la wilaya de Tizi Ouzou, la date exacte de sa naissance reste encore inconnue de nos jours. Enfant issu d’une famille misérable, déchue et déclassée par le pouvoir colonial français à cause de son opposition farouche à l’occupation. Le petit Ahmed connaîtra durant son enfance l’oisiveté et les longues journées d’errance dans les forêts de sa région natale.
D’abord berger, bûcheron, manœuvre et garçon de bain maure à Alger.
Ahmed Oumeri le hors-la-loi
Dès qu’il atteint l’âge adulte il fut mobilisé durant la Seconde Guerre mondiale se retrouva à Sedan, il réalise que cette guerre ne le concerne pas et, refusant de reprendre l’uniforme, déserte l'armée française en 1941. Arrêté puis emprisonné, à la cadence de Belfort (Maison-Carée) où il fut réincorporé au régiment de « La marche des levants », il réussit à déserter pour la deuxième fois et prend le maquis. Il rentre dans la clandestinité et devient hors-la-loi sous le surnom de Ahmed Oumeri. Insaisissable, parcourant avec sa bande les forêts et les montagnes de toute la Kabylie. Viscéralement attaché à sa liberté, il habitait le cœur des pauvres gens, bandit d’honneur à sa façon et justicier pour son compte. Il rançonne et rackette les riches pour donner aux pauvres, venir en aide aux plus faibles et les venger lorsqu’ils étaient pressurés par leurs propres frères (caïds et agents de l’administration coloniale). Oumeri n’agissait jamais seul, il divisait sa bande en deux, la première moitié en avant de la seconde. Lorsqu’il y avait une vengeance à exercer, sur un représentant de l'administration coloniale, un caïd de douar ou un mouchard à liquider, c’est toujours lui qui se chargeait de la besogne. L’activité du bandit s’oriente contre l’occupant étranger et ses agents de service, son action prend une légitimité populaire.
Le phénomène des hors-la-loi apparaît en Algérie et en Kabylie en particulier à la fin des grandes résistances populaires face à l’occupation française menées par Lalla Fatma N'Soumer et Cheikh El Mokrani. À la fin du XIXe s. et débuts du XXe s., les mouvements nationalistes algériens n’avaient pas encore pris forme, mais un parti nationaliste commence à s’implanter dans la région de Kabylie, Parti du peuple algérien (PPA), sous l’initiative de ce parti nationaliste, dorénavant chaque famille, chaque village, chaque douar devait s’occuper de ses déshérités, de ses marginaux, voire de ses « têtes brulées ». La densité et la fréquence des réunions nocturnes des cellules du PPA étaient que les mouvements des bandits étaient pratiquement paralysées3. Malgré tout, Ahmed Oumeri n’a jamais adhéré au parti. Cela lui a permis, d’ailleurs, d’agir librement sans se conformer à des idées partisanes et sans être régi par l’éthique d’un combat politique.
Quelques années plus tard le PPA gagne la confiance de toute la population kabyle et Ahmed Oumeri avait été récupéré dans l’organisation politique, de même que l’ont été certains bandits d’honneur dans les Aurès en 1954. Une partie de l’argent des rançons allait dans les caisses du parti et il lui arrivait parfois d’éliminer un traitre que les militants du PPA lui signalaient. De la sorte, il gardait sa liberté. Convaincu par Krim Belkacem, il était sur le point de rallier le groupe qui allait créer l’Organisation Spéciale (O.S.)
Mort
Les aléas de l’histoire ont voulu qu’Ahmed Oumeri se fasse tuer par trahison, le 16 février 1947 dans un guet-apens tendu par l’administration coloniale dans le hameau d'Iâazounen, au domicile de l'un de ses meilleurs compagnons d’armes Saïd Ouacel et son frère Ali, lors d’un banquet nocturne. Ce dernier à invité Oumeri et lui apporte un plat de couscous, sous lequel il tenait un revolver, balle au canon, et tire sur Oumeri avant de déposer le plat. Oumeri est grièvement blessé mais réussit à saisir son pistolet P.8 et tire sur Ouacel qu'il blesse légèrement à la tête, Ouacel en se relevant vide son chargeur dans la poitrine d’Ahmed Oumeri juste avant l'arrivée des agents de la police coloniale qui ont planifié ce guet-apens avec la complicité de Saïd Ouacel.
On raconte que Ouacel quitta très vite la Kabylie, pour la France, craignant les représailles et la vengeance des compagnons d'Ahmed Oumeri. Quelques décennies plus tard, il est retourné en Kabylie au milieu des années 80 sans être reconnu dans son village natal, décédé en 2013 suite d'une crise cardiaque à l'âge de 98 ans.
Postérité
L'aventure d'Ahmed Oumeri devenue une légende a de tout temps été louangée par les femmes dans leurs chants et glorifiée par les plus illustres poètes et artistes contemporains, comme Lounis Aït Menguellet, Lounès Matoub et le groupe Afous.
Source : Wikipédia
Témoignage de Mr BRAHIMI Rabah sur Ahmed UMERRI
Témoignage de Mr BRAHIMI Rabah sur Ahmed UMERRI par mohabel51
Le groupe Afous chante Oumari
Ait Manguellet chante Ahmed Oumari
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Il était une fois . Alger !
Par Belkacem Ahcene-Djaballah
Publié par The Algerian Speaker sur 23 Janvier 2013
DEBATS A BATONS ROMPUS (hiwar bila houdoud)
L'Algérie peine à s'illustrer dans les palmarès mondiaux. Selon l'enquête internationale Mercer 2012 sur la qualité de la vie, publiée mardi 4 décembre 2012, si Vienne est toujours la ville qui offre la meilleure qualité de vie, Alger n'est pas une ville où il fait bon vivre. Elle perd même une place par rapport à l'année 2011 et se retrouve épinglée en queue de classement à la 179e place sur 221 villes à travers le monde. Selon l'étude Mercer, Alger dépasse de peu La Havane classée 184e, Téhéran (188e) et Tripoli (196e). En revanche, elle est derrière Beyrouth (171e), le Caire (141e), Casablanca (122e), Rabat (114e) et Tunis (109e). Mais, pourquoi donc ? Quelques éléments de réponse ! En attendant la réalisation du plan d'aménagement du wali Addou tout en priant que cela ne soit pas une autre « affaire » de ligne bleue (destinée au covoiturage, affirmait-on) des routes à grande vitesse de la côte Ouest d'Alger
Alger, quand la ville dort. Récits de Kaouther Adimi, Chawki Amari, Habib Ayoub, Hajar Bali, Kamel Daoud, Ali Malek, Nasser Medjkane, Sid Ahmed Semiane. Editions Barzakh, Alger 2010. 168 pages, 750 dinars
Huit auteurs : Kamel Daoud, Habib Ayoub, Kaouther Adimi, Chawki Amari, Hajar Bali, Nacer Medjkane (photos), Ali Malek , Sid Ali Semiane (photos et texte ) , chacun à sa manière ou, plutôt, chacun avec un «angle d'attaque» (jargon journalistique) qui lui est propre, s'attachant , à travers une ou plusieurs histoires s'enchevêtrant , à «décrire» une « ville dans la nuit» (on se souvient de «Asphalt jungle» le fameux film de John Huston) une ville qui n'a rien d'une Capitale d'un pays «émergent», fortuné et méditerranéen , ouvert sur la vie et l'espoir d'un lendemain meilleur : Alger-triste, Alger -solitaire , Alger-misérable, Alger monotone, Alger-lugubre, Alger-violente, Alger sale, Alger folle, Alger-sauvage, Alger meurtrière, Alger-vautour Ville- traîtresse, ville fourbe, livrée aux putes, aux maquereaux (- elles) et aux dealers, livrée aux bars et aux salles de jeux clandestines, destinés aux paumés, livrée aux nouveaux «beaucoup flouss » (et/ou à leurs fistons chéris) qui confondent, avec arrogance, possession d'argent («arrivé» souvent bien facilement) et «pouvoir» Des «saigneurs» . Peu de sourires et encore moins de rires. Peu de scènes cocasses, mais surtout des drames. Tragi-comédie de la vie ? Drames ordinaires ? Oh, que non ! La tragédie de la vie avec des vies banales, frisant (et souvent vivant) le tragique, pour sûr !
Entre le réalisme cru et le surréalisme, leurs plumes balancent. Des textes d'une rare « dureté » avec le regard d' « observateurs sociaux » qui ont su transcrire la misère, le désespoir, la solitude, et la violence des gens de la nuit algéroise. Elles sont vraiment loin, très loin, les « folles nuits d'Alger » des années 60 et 70 avec , malgré tous les dépassements, une certaine joie de vivre .
Aujourd'hui, la jouissance sans limites, au moment où les « honnêtes gens » dorment tranquillement dans les bras de « bobonne ». Alger 2000 Brr ! froid dans le dos.
Avis : A lire pour le grand, l'immense plaisir de (re-) découvrir la « littérature djadida », celle du mal-être, « engagée » sans tabous ni garde-fous. Et, quel style. Mais, attention à la déprime !
Phrases à méditer : «Il n'y a rien de blanc dans cette ville, le drap d'une pute n'est jamais blanc » (p.17), « Tout est si loin quand on est si petit » (p.73), « Clint Eastwood a raison : il y a ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Je crois que moi, je creuse, et que c'est cette ville de malheur qui est armée » (p.147) et « La police ne protège pas du crime. Quand sa présence est démesurée, elle le crée en créant des coupables » (p 153)
ALGER. 32 SIECLES D'HISTOIRE. Un livre d'histoire de Hocine Mezali (avec une préface de Hassen Bendif). ENAG Editions, Alger 2006 . 292 pages, 375 dinars.
L'auteur n'est ni historien, ni chercheur universitaire mais tout simplement un chercheur de vérités en l'occurrence un journaliste qui s'est frotté , durant des décennies, à tous les problèmes vécus par le pays et les citoyens. C'est un des plus grands (anciens) reporters algériens, donc (encore) curieux de tout. Il ne s'est d'ailleurs pas contenté de journaliser, côtoyant les encore plus grands... des grands que le préfacier cite : merci, car on a tendance , beaucoup, dans ce pays, à oublier ceux qui nous ont précédés. Il a coécrit, avec Yacef Saadi, La Bataille d'Alger et un roman que j'avais alors trouvé super : Un algérien ami d'Al Capone, mais publié seulement en feuilleton dans Le Soir d'Algérie, « basé sur des faits réel ». Il ne fut jamais édité comme promis. Dommage! Les voies de la non-édition sont impénétrables.
Ce qui est absolument certain, c'est que l'auteur est littéralement « possédé » par Alger berceau de ses ancêtres et de son enfance - et son Histoire, de toutes ses histoires. Il a certainement voulu non pas seulement redorer son blason de ville, aujourd'hui totalement défigurée et polluée, ville-dortoir, ville poubelle, ville violée, ville volée, mais surtout la re-situer à sa juste et noble place. 12 siècles de liberté puis des occupations qui se succèdent: Romains, Byzantins, Vandales, Arabes, Turcs, Français: Alger l'Amazighe, la Berbère, a tout connu comme invasions mais a, en plus de trois millénaires et avec sept noms consécutifs, tout produit comme résistances.
Cependant, remettre les pendules de l'Histoire à l'heure, pour un non-historien de formation, n'est pas chose aisée tant l'affect prend souvent le dessus. Le journaliste, n'arrivant pas à se retenir, glisse souvent en hors-sujet rendant la lecture un peu fastidieuse avec des longueurs inutiles avec une « dent » bien acérée à l'encontre de l'invasion rurale de 62, du 19 juin 65 (« un coup d'Etat ») et de tout ce qui est turc. Il est vrai que ces derniers et leurs représentants ont régné « sabre au clair », et « sans pitié » pour leurs compères et pour leurs frères de religion. Journalisme de la vieille époque, quand tu nous tiens !
Avis: Près de 300 pages bien remplies pour un grand reportage historique, ça ne facilite pas la lecture, mais ça vaut le détour et ça vous changera de l'Histoire scientifique et des ouvrages trop académiques qui alignent des « vérités » austères et sans âme (mais absolument nécessaires). Les vérités de l'Histoire-militante de Hocine Mezali, qui a travaillé sur le sujet durant des années et des années (une trentaine, dit-il) , sont « vivantes » , même celles qui datent de 32 siècles.
Raconte-moi ta ville : Essai sur l'appropriation culturelle de la ville d'Alger Un ouvrage collectif rédigé par des chercheurs universitaires au CREAD, sous la direction de Fatma Oussedik. Enag Editions, Alger 2008. 300 pages. ??? dinars
Un livre qui a du style, de la vie, de l'âme et même de la poésie avec une « déclaration d'amour » de Rachid Sidi Boumedine. Une oeuvre un roman scientifiquement mené ou une oeuvre scientifique à la rythmique d'un roman - qui va au fond des pratiques culturelles en ville, qui évite la nostalgie et qui dénonce le laisser-faire. Pour les « vieux » et les nostalgiques des années 60-70 , un texte sur la peinture et les lieux de l'art (ce qui en reste!) et un autre sur l'artisanat (ce qui en reste!). Pour les plus jeunes, des textes sur Ktibet el Hiout (Tag), et sur le Rap, etc...
Avis : A lire absolument! Pour tous les « rurbains » que nous sommes encore, on saura alors si Alger est une cité (décadente), ou une ville (provinciale et secondaire) ou une métropole (exerçant une attraction à l'échelle de la région). Bien qu'il soit regrettable de voir « passer » dans une indifférence certaine, des oeuvres de recherche de premier plan. Il est vrai que les scientifiques n'ont pas la réputation de « bien communiquer » , les journalistes ne sont pas attirés par des œuvres en apparence austères, et les éditeurs sont trop « radins » pour faire la « pub » qu'il faut à leur production, attendant les Sila et autres salons et se contentant des ventes-dédicaces.
Phrase à méditer : « La situation de faible attractivité de l'Algérie et d'Alger, si on exclut le caractère de marché pour tout et n'importe quoi, est manifeste. Cette situation s'accompagne d'une détérioration des espaces de vie culturelle à Alger. Régulièrement, les élites culturelles quittent le pays et produisent ailleurs ».
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Fatiha Nesrine
LA PRIERE DE SHEHERAZADE
Najia Abeer avait bien saisi la mentalité de l'auteure lorsqu'elle avait commenté son premier ouvrage : « La tête demeure l'unique espace de liberté ». Une phrase qui résume les histoires (neuf nouvelles) et l'écriture de Fatiha Nesrine.
C'est un peu (beaucoup même) un monde presque parallèle, en tout cas autre, qui est décrit : celui des rêves et des illusions, celui de l'adulte encore enfant, celui qui, malgré toutes les contingences (presque toutes contraignantes, sauf celles de la nature) reste libre... de penser, de voir, de sentir et de ressentir (surtout de l'amour), de courir, de rêver…
Inès… c'est la découverte de l'autre, porteur d'amour, grâce à Internet. Une rencontre, portée par la poésie, partagée de la peinture, un art de liberté par excellence.
Les enfants du vent... histoire de jeunes harraga (dont deux très jeunes... dont une fillette) qui veulent « exister » avant tout. Assez triste mais pas désespérée.
L'autobus Rouiba-Alger… A la recherche de l'autre par le biais d'un courrier du cœur… et la déception.
Hiziya… Deux jeunes filles en fleurs, en randonnée dans la forêt de Bouchaoui, cadre paisible et familial, qui fantasment (comme beaucoup de mères de famille qui veulent « placer » leur fille) sur un beau cavalier et un vendeur de thé (lui aussi assez beau).
Le verger a levé l'ancre... un doux jeune homme, «rêveur» de femme idéale.
La terre et les cinq Dormants… une leçon d'écologie et sur l'avenir de notre mère la Terre
La prière de Shéhérazade… ou les souvenirs d'enfance d'une fille libre confrontée aux réalités d'aujourd'hui. Chance de l'une, calvaire des autres.
L'émeraude… ou un voyage au royaume des Incas. Autre temps, autre approche de la nature
Au royaume de Juba II et Cléopâtre Séléné… quand le pouvoir et la culture vivaient en symbiose.
Toutes écrites avec un sens certain de la pédagogie. Mazette, on ne se refait pas ! Comme les militaires. Enseignant un jour, enseignant toujours !
L'Auteur : Née en 1950 à Collo, a fait l'Ecole nationale supérieure de Constantine puis celle d'Alger, DEA en linguistique à l'Université d'Alger, professeur de lettres françaises et formatrice d'enseignants, co-auteure de manuels scolaires et de livrets pédagogiques à l'IPN… déjà auteure d'un roman « La baie aux jeunes filles » (L'Harmattan 2000 et Thala éditions en 20015, 143 pages).
Avis : Du rêve et de la douceur. Des nouvelles «écologiques» et moralisatrices qui se laissent lire.
Citations :
« Pour rêver, il faut d'abord exister » (p.32),
« L'abus de pouvoir est l'un des éléments de ce fléau qui gangrène le pays. Tu crois que tout t'appartient : terres, biens, hommes, femmes. Et, pour être sûr que rien ne bougera pendant des générations, tu en fais un monde en béton » (p.39)
Belkacem Ahcene Djaballah
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POUVOIR, LANGUE ET COUTUME AU XVIE SIÈCLE / JEAN-PIERRE CAVAILLÉ
Jean-Pierre Cavaillé se propose d'examiner la relation entre langue et coutume au XVIe siècle, qui donne lieu au XVIe siècle à une réflexion particulièrement riche et diversifiée, en prenant en compte les couples notionnels mobilisés à l'époque pour théoriser à la fois la nature des langues, faire leur histoire, assurer leur promotion et penser la juste relation du pouvoir politique aux langues écrites et parlées par les sujets : « langues naturelles » et langues artificielles (ou plutôt langues « d'art »), langues « vulgaires » et langues « nobles », langage « maternel » et celui qui ne l'est pas, enfin « langue du pays » et « langue du roi » ou « langue de la cour ».
L'importance assumée dans ces discussion par la notion, à la fois juridique, anthropologique et linguistique de « coutume », permet, entre autres choses de revenir sur le mythe de Villers-Cotterêts (ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539), aujourd'hui plus que jamais opératoire dans les discours publics. Cette déconstruction du mythe nous servira de terrain pour esquisser une première analyse des relations complexes entre langue, coutume, droit et pouvoir politique au moment où le français, comme d'autres langues vulgaires en Europe, à la faveur d'une dynamique indissociablement politique et culturelle, entreprend de rivaliser avec le latin et le grec.
Communication donnée dans le cadre des 4e Rencontres internationales La Boétie de Sarlat organisées par la Société des amis de La Boétie au Centre culturel de Sarlat, du 26 au 28 novembre 2008, colloque "La coutume : formes, représentations et enjeux ".
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« LE REPENTI », DE MERZAK ALLOUACHE
Algérie. Région des hauts plateaux.
Un jeune homme court dans la neige trainant son balluchon. Rachid est un islamiste maquisard qui regagne son village grâce à la loi de « Concorde civile ». Entrée en vigueur en 2000, elle est censée mettre fin à la « décennie noire », qui a coûté la vie à environ 200 000 personnes. La loi promet à tout islamiste repentant qui rendrait ses armes en promettant n’avoir pas de sang sur les mains, une quasi amnistie et la réinstallation dans la société. Mais la loi n’efface pas les crimes et Rachid s’engage dans un voyage sans issue où s’entremêlent la violence, le secret et la manipulation.
« Le repenti » est un film de Merzak Allaouche sorti en 2012
Film sur la décennie noire en Algérie
فيلم عن العشرية السوداء
EL MEHNA
« المحنة »
FILM EMOUVANT - El MEHNA - « لمحنة » - Décennie noire
Réalisateur Noureddine ZERROUKI
الفيلم الجزائري ''المحنة'' فيلم عن العشرية السوداء
A ne jamais oublier !
Le film de 114 minutes, dont le scénario est d'Abdelhalim Zerrouki, raconte les affres du terrorisme dans le registre du drame, et mettant en exergue les aléas et la vie douloureuse d'une population meurtrie. Dans son film, le réalisateur évoque aussi l'un des quartiers de Tiaret, une ville fantôme à l'image de toutes les villes du pays à cette même période de l'histoire.
Cette décennie noire a été pour l'Algérie une grande épreuve douloureuse, marquée par de lourds sacrifices. Si l'Algérie a été meurtrie par cet événement d'une ampleur indescriptible, elle en sort aguerrie pour œuvrer à un avenir bien meilleur.
Le personnage principal interprété par le jeune Khaled, âgé seulement de 18 ans, a été affreusement frappé par le sort. Il s'agit de la tragique perte de presque la totalité des membres de sa famille.
Ce récit émouvant se veut un miroir de l'histoire récente de notre pays, servant d'enseignement aux générations futures? Ceux qui n'ont pas connu cette période chaotique de notre cher pays.
La décennie noire et maintenant ?
Algérie, 1992. La poussée électorale du Front islamique du salut (FIS) amène le gouvernement à suspendre le processus démocratique et à décréter l’état d’urgence. C’est le début d’une longue crise : assassinats, attentats, massacres, répression… La « décennie noire » reste un traumatisme profond pour l’Algérie. Peut-on parler de guerre civile ? En quoi cette tragédie peut-elle nous aider à éclairer le présent et à comprendre une forme d’immobilisme dans l’Algérie politique d’aujourd’hui ?
Kamel Daoud, journaliste et écrivain
Karima Dirèche, directrice de recherche au CNRS, directrice de l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain de Tunis
Sophie Gebeil, attachée d'enseignement et de recherche à l'Université Aix-Marseille
Emmanuel Laurentin, producteur de "La Fabrique de l'histoire" sur France Culture.
DEBATS ET ENSEIGNEMENTS AUTOUR DE LA DÉCENNIE NOIRE
Le texte de Karima Bennoune, reçu en juillet 2013, dans l’esprit de la "défense des Droits de l’homme", mérite d’être éclairé par le contexte de l’époque.
Aussi ce même dossier reprend deux textes de Sadek Hadjerès : "LES DROITS DE L’HOMME, QUESTION SECONDAIRE OU FONDAMENTALE ?" publié par El Watan, le 14 juillet 1994 au cœur de la tragédie en Algérie, l’autre “FRACTURES ET APPELS À « RÉCONCILIATION » : DES ESPOIRS AUX SOLUTIONS, UN CHEMIN NON GARANTI” , publié par Le Quotidien d’Oran le 29 septembre 2005 - date du référendum « Charte pour la paix et la réconciliation nationale ».
En pleine actualité, le 7 juillet 2013, Abdelaziz Saoudi met en garde contre les polarisations qui fracturent les sociétés : islamistes-laïcs… et font le jeu de toutes les manipulations : "QUAND LA SCISSION SOCIÉTALE PRÉPARE LE COUP D’ÉTAT", blog algerieinfos-saoudi .
Un grand pas pour la défense des libertés et droits démocratiques sera accompli lorsque les victimes, cataloguées "islamistes" ou "laïques" se retrouveront côte à côte contre l’arbitraire et pour le respect des droits de l’Homme.
rédaction socialgérie
QUAND LA SCISSION SOCIÉTALE PRÉPARE LE COUP D’ÉTAT - Saoudi Abdelaziz - blogalgerieinfos-saoudi - le 7 juillet 2013 ;
“FRACTURES ET APPELS À « RÉCONCILIATION » : DES ESPOIRS AUX SOLUTIONS, UN CHEMIN NON GARANTI” - Sadek Hadjerès - Le Quotidien d’Oran - L’Actualité autrement Vue - le 29 septembre 2005 ;
LES DROITS DE L’HOMME, QUESTION SECONDAIRE OU FONDAMENTALE ? - par Sadek HADJERES - article paru dans El Watan du 14 juillet 1994 ;
LE PRINTEMPS REVIENDRA-T-IL ? - ALGÉRIE VINGT ANS PLUS TARD : LES MOTS NE MEURENT PAS - Karima Bennoune - Journal le 24 Juin 2013 ;
AJOUAD ALGÉRIE MÉMOIRE - contre l’oubli des 200000 victimes du terrorisme intégriste en Algérie - action du 22 mars 2012 à Oran - VIDÉO de Fatma Boufenik ;
ALGÉRIE : ENTERRER LE DOSSIER DES DISPARUS ? - Section de Toulon de la LDH - le 29 septembre 2007 ;
ALGÉRIE : LES DROITS DES FAMILLES DE DISPARUS - LDH TOULON - le 14 décembre 2012 ;
Voir la suite sur socialgerie.
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