• Harbi Mohamed

     

    La crise algérienne

      

    Si l’on veut comprendre la crise algérienne, force est, avant de s’interroger sur ses perspectives, de restituer les déterminants historiques.

    Les déterminants historiques de la crise

    Jusqu’en novembre 1954, le champ politique algérien a été investi par des forces opposées sur les fins du devenir du pays et sur les moyens d’y parvenir. Au plan social, des groupes autonomes (bourgeoisie, prolétariat, intelligentsia) ont commencé à se développer à l’ombre de la colonisation mais leur cohésion restait hypothéquée par le poids des solidarités régionales. Au plan culturel, l’Algérie n’a jamais bénéficié d’un socle homogène. La culture religieuse et la culture politique avaient des fondements et des traits communs, favorables à l’assimilation réciproque des élites. Mais en faisant du français la langue de l’État colonial et de l’enseignement, et en marginalisant l’arabe condamné désormais à n’être que le véhicule de la tradition religieuse, la colonisation provoquait une grave segmentation au sein des élites. Le dualisme épargne le domaine de la pratique religieuse mais affecte profondément le comportement, les attitudes et le rapport au politique, malgré l’éclatement des milieux culturels et l’opposition dans la confusion entre l’Algérie précoloniale et l’Algérie moderne. Nationalistes et communistes cherchaient à dépasser ce dualisme, à le corriger pour se déterminer en fonction de la question coloniale ou des intérêts de classe. Les nationalistes populistes parviendront temporairement à atténuer ce clivage qui recoupe également la division horizontale avec d’un côté la majorité de l’élite sociale et de l’autre les masses. Mais le prix à payer sera lourd : ils devront renoncer à un projet de société au profit d’un projet de communauté, et donc accepter que, dans les représentations de la nation, l’islam constitue le réfèrent premier, la langue arabe, langue sacrée, en étant le véhicule. Une culture citoyenne supposait la reconnaissance d’une spécificité berbère, la séparation du politique et du religieux condition sine qua non de l’égalité entre musulmans et non musulmans, entre hommes et femmes. Or, pour les nationalistes populistes, le principe de la nation ne reposait pas sur la croyance de la liberté face à l’État et en une humanité surmontant les frontières religieuses et ethniques. Alors que l’individu se trouvait engagé dans un processus qui tendait à le libérer des liens .lui le rattachaient à des communautés organiques. La voie vers l’État national passait chez eux par le renforcement de ces liens et la régénération des valeurs religieuses. Il n’y avait de liberté possible que pour l’État.

     La contradiction entre la réalité sociale et sa traduction idéologique empêchait l’affirmation d’une algérianité ouverte et provoquait une tension permanente entre le particulier et l’universel. Le contenu de l’identité nationale va être, par la force des choses, la source d’affrontements sans fin. Nulle part au Maghreb, le combat politique n’a autant intégré qu’en Algérie la religion et la langue dans la définition de la personnalité. Ce destin singulier rendait très difficile le rassemblement d’un mouvement national, dominé par des classes moyennes divisées mais poussé en avant par des classes populaires impatientes d’en découdre avec la domination étrangère. Le Front de libération nationale a donné une réponse à ces impasses en prenant le parti de la mobilisation autoritaire. A l’instar des oulémas dans les années 1930 et du Parti algérien plus tard, il a mis en œuvre pour s’enraciner dans les milieux populaires le principe islamique de la censure des mœurs. Loin de dissocier le politique du religieux, le FLN jouait de leur confusion à des fins instrumentales. Engagé dans la voie d’une reconquête de la souveraineté par la guerre, d’une « révolution » militaire et rurale, il a mis fin à l’autonomie des groupes sociaux, annexé le levier de la religion en obligeant l’association des oulémas à se dissoudre et les confréries religieuses à lui faire allégeance. La mobilisation fondée, malgré les apparences, sur les groupes primaires conduira les dirigeants à se commettre avec l’ordre patriarcal et à renouer avec les vieilles formes de pouvoir. L’édification d’un État fort face à une société faible, maîtrisée avec un coût social, énorme, reproduisait dans des conditions nouvelles (stratification sociale, accroissement des ressources politiques du centre, formation incomplète d’un marché national) un trait ancien ; toutes les composantes de la société sont considérées comme de simples rouages d’un État où les allégeances personnelles, les relations patrons-clients remplacent les engagements politiques et idéologiques, et où l’économie est soumise à la loi du politique. Si l’on excepte sa position favorable à la séparation du politique et du religieux, le marxisme d’inspiration soviétique n’apportera pas de correctif comme en témoigne sa méfiance à l’égard de l’expérience vite étouffée de l’autogestion entre 1962 et 1965.

     Le retour du refoulé

     Qu’ils soient inspirés de l’islam, du libéralisme ou du marxisme, les dirigeants algériens fascinés par le modèle militaire ont toujours été réticents à admettre une société constituée hors de l’État. Les valeurs identitaires ont été forgées en vase clos par des minorités restreintes, remaniées et réinterprétées par les populations en fonction de leurs intérêts propres et de mœurs patriarcales. L’identité algérienne s’est formée par couches successives dans des conditions qui ne favorisaient pas l’intégration de ses éléments constitutifs. Au vieux fonds berbère sont venus s’ajouter les sédiments déposés par l’islamisation et l’arabisation et ceux de la domination française. Avant novembre 1954, les élites ont commencé à percevoir que la formation de sentiments identitaires de juxtaposition, berbère, arabo-islamique, algérianiste s’opposait à la construction d’une Algérie ouverte, tolérante, démocratique. Après novembre 1954, la mobilisation autoritaire va permettre la libération du pays mais en bloquant cette prise de conscience. La modernisation mise en œuvre depuis l’indépendance inaugure une transformation par en haut qui, par bien des aspects, rappelle le schéma de la révolution passive décrit par Gramsci. Les élites, à partir d’un projet qui leur était propre, voulurent au nom de la rationalité et du progrès forger un pays moderne en faisant obstacle à toute « conscience populaire nationale, répandue et opérante ». Elles n’ont réussi qu’à mettre en place un système de rentiers. Ce système entraînait l’adhésion de tous sauf de ceux qui travaillent réellement ; entrepreneurs publics et privés, bureaucrates salariés, rentiers, tous y trouvaient leur compte. Économistes, démographes et sociologues ont attiré l’attention sur les blocages inhérents à ce modèle de développement et sur la destruction intense du tissu social qu’il induit ; rien n’y fit. La rente pétrolière permettait de colmater les effets pervers : ruine de l’agriculture, gel des équipements collectifs, sureffectifs dans les entreprises variant de 75% à 110%, constitution d’une épargne non investie plusieurs fois supérieure au revenu national, etc… Les grandes luttes entre les tenants du pouvoir portaient sur le modalités de réparation de la rente. Leurs stratégies dans les rapports avec la société prenaient appui sur un compromis de type clientéliste. L’État distribue sous des formes multiples (licences, contrats, prébendes, emplois) les ressources. En retour les populations, dessaisies de tout contrôle du pouvoir, lui font allégeance et reconnaissent sa légitimité.

     Dans ce système, la possibilité de s’enrichir et la domination du champ social dépendent de la relation à l État et de la position qu’on détient dans la hiérarchie de pouvoir. Pour accéder à la gestion privative de l’héritage colonial ou de la rente pétrolière, les couches dirigeantes sélectionnent par cooptation, s’organisent en factions et en clientèles. D’une part le modèle politique multiplie les groupements d’intérêts qui interviennent directement à tous les niveaux de l’État et contribuent à son incohérence et à sa paralysie. D’autre part, l’enchâssement de l’économie dans le politique le soumet aux lois de la régulation politique, le but étant le maintien de la stabilité sociale. La rupture entre l’État et la société annoncée par des signaux d’alarme comme les grandes grèves avortées des années 1975-1980, les revendications culturelles en Kabylie (1980), les manifestations des lycéens (1984) et des étudiants à Constantine (1986) sont suivies du séisme d’octobre 1988 qui prend pour cible l’État FLN et ses institutions. Le contrôle policier ne suffisait plus. La distribution des prébendes n’était plus possible depuis 1986 à cause de la rétention de la rente pétrolière et du poids de l’endettement extérieur. L’exacerbation des luttes internes avait montré au grand jour la nature prédatrice du système État qui a mis à nu les traits patrimoniaux des dirigeants. Après trois décennies de pouvoir FLN, l’Algérie affrontait la démocratisation du système politique, mais celle-ci intervenait dans un contexte particulier : réactivation, à l’occasion des clivages économiques et sociaux, des lignes de clivage fondées sur l’appartenance religieuse, sur l’ethnicité ou sur l’identité régionale, mobilisation dans le cadre des communautés religieuses linguistiques. La modernisation autoritaire avait engendré un repli sur les identités profondes enracinées dans l’inconscient collectif. L’identité berbère en Kabylie, dans l’émigration intérieure et hors d’Algérie d’une part, l’identité islamique d’autre part apparaissent comme les plus mobilisatrices. Leurs premières manifestations ont commencé en 1962. Réprimées, elles vont cheminer souterrainement pour réapparaître au grand jour, dans les années 1970. Je ne traiterai ici que de l’islamisme, dans la mesure où son ascension a été à l’origine du coup d’État militaire du 11 janvier 1992.

     La longue marche des islamistes

     La question est de comprendre pourquoi le retour du religieux se donne dans une organisation politique forte qui peut prétendre au pouvoir. Ceci s’explique notamment par la politique du FLN en matière de culture religieuse. En évacuant le problème de l’algérianité, cette politique a rendu impossible l’homogénéisation de l’intelligentsia et donc celle de la société. Le procès en sorcellerie intenté en permanence au berbère et au français cache mal l’incapacité du pouvoir à donner une solution à la création d’un outil de communication en arabe, moderne mais non exclusif. Le mépris des dirigeants pour la culture et leur peur de la réflexion intellectuelle les a poussés à procéder à une arabisation-islamisation envisagée comme instrument de contrôle social et orienter prioritairement vers les classes populaires. Par ailleurs la manipulation du religieux pour faire des mosquées des relais du pouvoir les a transformées, le monopole politique aidant, en espaces politiques. L’opération commence en 1962, quand les oulémas demandent à se constituer en corps autonome ; l’État FLN naissant, fort de la légitimité historique, refuse leurs exigences et s’arroge les prérogatives de la religion. Il ne le fait qu’au prix de multiples concessions. C’est ainsi que Ben Bella introduit l’enseignement religieux à l’école et interdit l’alcool dans les débits de boisson. Faute de s’orienter vers une séparation du politique et du religieux, l’État commence à exercer son contrôle sur la sphère privée (surveillance des couples, etc.). Les pressions du président égyptien Gamal Abd El Nasser, alors aux prises avec l’opposition de la confrérie des Frères musulmans, inclinent Ben Bella à ne pas aller plus loin. Mais les oulémas reviennent à la charge en porte-parole du conservatisme social. En avril 1964, Cheikh Bachir El Ibrahimi condamne le socialisme comme une « manifestation d’athéisme » mais l’écho de sa position reste faible. L’inflexion religieuse s’accentue sous Boumédienne, avec l’arrivée d’Ahmed Taleb El Ibrahimi au ministère de l Éducation nationale. Dans son sillage, les oulémas accèdent aux commandes du système éducatif et font de la religion l’idéologie de l’appareil scolaire. Les directeurs de conscience se substituent aux pédagogues, inculquent aux enfants une culture communautaire qui les éloigne de l’histoire nationale. Leur enseignement fondé sur une vision mythique, antihistorique, de l’islam surévalue le domaine spirituel, le sépare radicalement du fonctionnement concret de la société et joue sur la peur du châtiment. Désormais l’école va occuper une place stratégique dans la diffusion islamique et forger l’emprise des islamistes sur l’État et la société. La création des instituts islamiques pour former des imans dévoués à l’État joue dans le même sens. Boumédienne réalise, mais trop tard, les dangers de l’instrumentalisation de la religion et les supprime. L’islamisation du système éducatif produit tous ses effets au moment où l’État n’était plus en mesure de répondre aux attentes des candidats au travail. Pour les arabophones que l’enseignement, la justice et les appareils du FLN n’avaient pu absorber, l’école s’est avérée un facteur de marginalisation. La seule porte qui leur restait ouverte était la carrière politique. Ils vont s’y engouffrer et fournir des troupes combatives à tous les futurs leaders de l’islamisme, des vétérans de l’association des oulémas comme Cheikh Salhnoun, Cheikh Soltani, des nationalistes déçus Abbassi Madani, Mahfoud Nahnah et les activistes d’une génération nouvelle, tribuns du peuple maniant avec brio le langage de la protestation populaire et l’enrobant dans le vocabulaire religieux. Mais ces nouveaux venus à la politique sont encore légalistes et réagiront prudemment en 1982 à l’arrestation de leurs chefs en organisant des sit-in.

     La consécration du mouvement islamique intervient en octobre 1988 quand le pouvoir, croyant à tort que les émeutes étaient le prolongement des grèves ouvrières, arrête et torture les militants de gauche et fait d’Ali Belhadj son intermédiaire pour gérer les débordements de la rue. Les mosquées deviendront alors les centres de la contestation.

     Les stratèges de la Présidence avaient multiplié les erreurs de manoeuvre, déjà avant 1988. Situant le danger à gauche, ils n’avaient cessé de quadriller le monde ouvrier et ‘es syndicats pourtant fort peu représentatifs de son mécontentement. Les services de sécurité surveillaient Ait Ahmed Ali Yahia, Abdennour, Ben Bella et les forces qui gravitaient autour d’eux. Ils sous-estimaient les islamistes à cause de leur choix du libéralisme économique, oubliant qu’à travers le FLN et les appareils de l’État, ils disposaient de points d’appui institutionnels. Les technocrates, sans contacts avec la réalité sociale et sans expérience politique, qui entouraient les décideurs, leur laissaient croire qu’après la réforme du système politique de février 1989 et les réformes économiques qui supprimaient les monopoles économiques de l’État les choses iraient mieux ; les adversaires du régime étaient incapables de proposer à la société un modèle social de remplacement. Cependant, alors que la débureaucratisation piétinait et que la décomposition de l’État s’accélérait, le FLN qui n’a jamais pris au sérieux la possibilité de l’alternance s’enlisait dans les scandales et les règlements de compte. Le Président, clé de voûte du système, n’incarnait pas la démocratie. Il était lié aux factions qui l’entouraient et le conseillaient et cherchait à réaliser ses buts bien au-delà des limites constitutionnelles. Le compromis civique nécessaire à l’homogénéisation de classes moyennes pusillanimes, récemment converties à l’idéologie des droits de l’homme et plus soucieuses de se partager l’héritage colonial que du bien public, lui importait peu. La manière dont les nouveaux partis ont été agréés, leur financement sont à cet significatifs de la manipulation du champ politique. Peu de partis ont réussi à se prémunir contre la corruption et l’instrumentalisation par le pouvoir.

    L’effondrement de l’ouverture

     Aucun système social ne peut durer sans satisfaire les besoins élémentaires du peuple. Pendant des décennies, la bureaucratie et l’armée ont eu le pouvoir. Le FLN qui leur était associé mais subordonné voilait leur domination et la cautionnait par sa légitimité historique. Le caractère autoritaire de la structure politique apparaissait anormal aux yeux des classes moyennes. Mais le rétrécissement de la base sociale du FNL qui intervient entre 1962 et 1988 éclata au grand jour avec la récession de la rente pétrolière et le développement d’une société duale dans laquelle les laissés pour compte étaient les plus nombreux. Le conflit des générations consécutif à un développement démographique accéléré se fit jour. La décrébilisation de toutes perspective de transformation de la société, la fin du système redistributif et le renforcement des inégalités exacerbèrent les contradictions du régime ouvrant l’ère des luttes de factions au sein du FLN entre libéraux et étatistes, laïcisants et islamistes. Les groupes privilégiés, que le système rentier drapé dans le manteau du « socialisme » avait créés ne disposaient ni d’une idéologie universellement acceptée susceptible de maintenir leur cohésion, ni de la capacité de s’orienter vers un nouveau consensus social. Le pouvoir souverain résidait dans l’armée mais ses chefs, après la répression sanglante d’octobre 1988, admirent que le contrôle policier ne pouvait plus être le moyen premier du pouvoir social et politique. Une phase de recomposition politique s’imposa dans un pays appauvri où les antagonismes sociaux et la fracture dans l’intelligentsia s’étaient polarisés favorisant une configuration du politique fondée sur l’utopie islamiste. Dans ces conditions, le pluralisme ne pouvait fonctionner durablement en l’absence d’une société civile multiple et conflictuelle capable d’exprimer sur le mode politique ses intérêts et reconnaissant la liberté de conscience, l’égalité de l’homme et de la femme et la primauté du citoyen. Le processus électoral bénéficia aux islamistes qui tournaient le dos à toutes ces valeurs. Leur victoire aux municipales de juin 1990, les manoeuvres du FLN pour bloquer la voie de l’alternance en faisant voter par une assemblée nationale élue sous le régime du parti unique une loi scélérate ouvrent la crise. C’est la lutte frontale, l’état de siège et le retour de l’armée sur une scène qu’elle n’avait jamais en fait quittée. 

    L’expérience menée entre février 1989 et janvier 1992 montre que les forces capables de faire basculer l’Algérie dans le champ démocratique sont faibles, que l’unité du pays est d’autant plus fragile que les litiges territoriaux avec le Maroc et la Libye restent pendants et que les conflits entre les Touaregs et le Mali e répercutent gravement à Tamanrasset.

     Après trois décennies d’étouffement de la parole, la sphère politique se réduit à une logique de pouvoir à l’intérieur des communautés religieuse et linguistique et des appareils (armée et partis).

     Le coup d Etat militaire du 11 janvier 1992 était attendu depuis trop longtemps pour surprendre. A posteriori la nomination du général Larbi Belkheir au ministère de l’Intérieur apparaît comme un moment du scénario mis au point par les militaires pour écarter le Président Bendjedid. Après juin 1991, les chefs de l’armée ne cachaient pas que leurs vœux allaient à un pouvoir fort décidé à mettre au pas le FIS et celui-ci savait qu’il ne pouvait se frayer un chemin que contre leur volonté…

     La paralysie des appareils de l’État après la victoire du FIS, laissait présager une poussé irrépressible en sa faveur, précipitant l’intervention militaire. L’atmosphère dans le pays rappelait l’effervescence qui précéda la marche au pouvoir du FLN en mars 1962. La grande cohorte des disponibles et des laissés-pour compte s’apprêtait à la revanche. On comparait volontiers le sont à venir des gouvernants et des couches qui leur sont liées à celui des pieds-noirs. L’intervention de l’armée s’est appuyée sur une constellation de forces contradictoires. Au côté des entrepreneurs publics et privés on trouve les syndicats et une grande partie de l’intelligentsia. Ces forces se sont assuré la caution de Boudiaf, cofondateur du FNL et opposant depuis 1963. Le seul problème immédiat est celui du rapport entre ces différentes forces, de leurs convergences et de leurs divergences. Des ruptures et des reclassements sont inévitables. Selon Mohamed Boudiaf, faute d’une société capable de porter la liberté, il faudra en passer par 1 Etat qui doit éduquer à cette fin les citoyens. Est-ce le retour à l’État tutélaire et à l’option étatique de la modernité ?

     L’évolution de la situation en Algérie pose aux forces démocratiques des questions difficiles. Elle doit les résoudre en fonction de ses principes et de ses perspectives propres. Il n’y a pas de sens à parler, comme le font certains, de défaite de la démocratie, après l’arrêt du processus électoral. D’une part, le pluralisme concédé par l’État FLN était vicié et biaisé. Ce n’était qu’un desserrement de l’autoritarisme. D’autre part, la démocratie incarne aux yeux des islamistes le pouvoir du peuple souverain. Or, eux affirment à qui veut bien les entendre qu’ils ne reconnaissent que la preuve coranique et non l’opinion majoritaire.

     Il n’y a pas de sens non plus à identifier l’appui que les classes populaires apportent aux islamistes, à la défense des intérêts de ces classes. L’expérience du fascisme en Europe et celle de l’Iran nous montrent que le glissement des grandes masses dans les conjonctures de crise correspond pas nécessairement à la satisfaction de leur soif de justice, d’égalité, de dignité. L’idéologie islamiste se distingue de l’autoritarisme, y compris celui des militaires, par son caractère totalitaire, son viol permanent des consciences, son sexisme et sa fusion avec la terreur. Est-ce à dire qu’il faut soutenir l’armée, occulter que derrière elle s’agite à côté des syndicats et d’intellectuels critiques le parti de la peur sociale et du privilège ou s’identifier à son action ? Nullement. La marche vers la démocratie n’est possible qu’avec les moyens de la démocratie. La répression du délit d’opinion et l’ouverture de camps d’internements n’y mènent pas, pas plus que la répression. Il n’est pas admissible que des milliers d’hommes soient arrêtés et internés dans des conditions précaires uniquement pour leurs convictions. Dans « Où va l’Algérie ? », Mohamed Boudiaf, arrêté du 21 juin au 16 novembre 1963 décrit son internement à Colomb-Béchard puis à Tsabit à 65 kilomètres au nord d’Adrar. Il y évoque les chaleurs insupportables de l’été. Peut-être s’en souviendra-t-il en pensant aujourd’hui aux islamistes ?

     Harbi Mohamed

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