• Fatiha Nesrine / La Baie aux jeunes filles Editeur

    Fatiha Nesrine

     

     La Baie aux jeunes filles Editeur : L'Harmattan 

    Collection : ECRITURES ARABES 

    Date de Parution : 01/10/2000 

     

      

    LA DEDICACE DE L'AUTEUR : 

    C'est l'histoire d'une petite fille qui se cogne aux murs parce qu'elle veut tout comprendre. Ainsi, quand son père lui interdit d'aller à l'école, elle est bien triste d'être séparée de ses camarades de jeux mais surtout perturbée par une décision que rien ne justifie. Plus fort que cette exclusion, la souffrance de sa mère la bouleverse. 

    Cette dernière décide courageusement de l'inscrire en secret. Mère et fille apprennent à vivre avec la peur. Heureusement que la petite fille vit sur une île enchantée, au cœur de l'Algérie en guerre. Regarder le soleil embraser la mer, tomber au détour d'un chemin sur un figuier " vieux comme la Méditerranée ", " solitaire, démesuré ", croiser Ahmed Le Fou qui fait pousser des amandiers entre ciel et terre, écouter Fatima parler du géant " plein de rires intérieurs ", la petite fille capte tout ce qui palpite autour d'elle. 

    Et puis il y a la baie ! C'est un espace réservé aux femmes, le seul lieu extérieur autorisé où elles se baignent en toute liberté, boivent à la source réputée guérir de tous les maux et s'en reviennent enchantées. Cette source, c'est la poésie. 

    Fatiha Nesrine

    _______________ 

    Commentaire : Quant la tête demeure « l’unique espace de liberté »  

     

    « Moi, je ne parle pas », confie la fillette.

     

     « Quand ma mère me mit au monde - j’avais été patiente – l’accoucheuse conseilla de m’emmailloter avec la corde de l’âne bâté (…) Quand au pourquoi, je suppose qu’une corde de mulet apprend la docilité aux plus rebelles. »

     

    Co-auteur de plusieurs manuels scolaires et ce, jusqu’à sa retraite (2002), Fatiha Nesrine nous a offert La Baie aux jeunes filles, il y a de cela cinq ans. Roman, récit, poésies en cascades éternelles, conte, fable ? « Inclassable », dit le critique littéraire, le vrai! Est-ce pour cela qu’on en a presque pas parlé chez nous ici ?

     

    A peine la première lecture terminée, on a vite envie d’y replonger pour le mystère, la saveur des mots, l’odeur des fleurs, la lumière prisonnière d’un soleil marin, le silence des « Gens de la cité » qui dorment dans ce « bienheureux cimetière », seul espace de réelle liberté qui fait face à la Baie aux Jeunes Filles, plage « (…) réservée aux femmes (et donc fermée aux hommes) dès la puberté. » Relire pour s’engager dans ce dédale faits de murs auxquels on s’adosse, on se colle, on s’accroche, on s’agrippe, on se réchauffe… et contre lequel on se tasse pour ne pas remuer, pour s’engourdir « comme le filet d’eau surpris par le froid sous le rocher,… » D’ailleurs, vous ne pouvez échapper à cet espace pris entre collines et mer comme ces femmes emmurées dans le silence de la « bête » soumission à l’autre, de celui qui d’un regard, en levant simplement les yeux, vous transperce et vous fige en « statut du péché ».

     

    Les murs sont ici, là, ailleurs, partout. Hauts et courts, épais ou minces, lisses ou grumeleux, glacials ou brûlants, hideux ou merveilleux… Il y en a même qui portent des barbelés en chapeau. Véritables obstacles à l’amour, à l’école, au jardin publique que les Colons protègent contre ces Indigènes qui gênent. C’est le mur de la parole interdite, du geste mesuré, du regard freiné. D’ailleurs, « Une muraille invisible semble envelopper le quartier. » Et pourtant, les murs « résonnent des coups donnés, (…) Ils doivent tous se parler. »

     

    La mer et le cimetière, seuls lieux où les femmes retrouvent leur liberté, la vraie, celle qui offre à la tête le véritable espace de l’Humanité. On salue d’abord « Les gens de la Cité » qui dorment du sommeil éternel, avant de rejoindre la Baie aux Jeunes Filles, lieu de liberté… imposé. 

    Et puis, il y a le Géant que raconte Fatima, l’unique sœur et non mariée de Ahmed le fou. Mais qui est donc ce géant ? Fatha Nesrine veut bien en faire un mystère, une véritable charade.
     

    « Et le géant ? Le vrai. (…) Et le géant n’est pas l’olivier.

     
    Alors, un rocher ? Un rai de lumière concentrée ?


    Une paupière, voûte ouverte, printemps de l’amandier, piège vert, blanc, irisé, halo de senteurs, efuge des nuits d’été ?

     

     Des nuits d’été ?

     (…) 
    Une onomatopie ?

    onomatopée ?

    Une harmonie de sons ?

     harmonie de sons ?

     La véhémence de l’été ?

    (…) 
    Le géant est peut-être un arbre. Le géant est sans doute la fois d’après, celle qui ne recommencera pas… 
    Un voilier accostant sans écueil ?

    Une baie où se reposer ?

    (…)

     Sur le rivage, le géant s’est ensablé…

     le rivage, le géant s’est ensablé…

    Sur le chemin, un figuier,

    Vieux comme la Méditerranée (…) Donnent des œufs bleus, tendres… » 

    Et, au moment même où l’on croit deviner, l’auteur nous renvoie à la question :

     « Qui est le géant ?


    Personne ne le connaît. Moi, les femmes me l’ont raconté. Il y a longtemps.»
     

     

    Moi, je crois avoir deviné. Mur protecteur et obstacle infranchissable, bon et effrayant géant qui, signifiant haut et fort son incontournable présence dans le silence qui tue, réduisant l’espace de liberté à cet espace qu’aucun interdit, qu’aucune loi humaine ne réussira jamais à violer : l’esprit. N’est-ce pas ce mur obstiné, ce géant qu’on ne peut approcher même quand il sommeille, qui refuse la scolarité de sa fille ? Et la fillette de se demander si elle apprendra à tuer le temps comme sa mère, des jours, des mois, des années, si elle devra apprendre à « S’abîmer en prières muettes pour des jours meilleurs ? » L’enfant qui a patienté avant même de naître patientera encore et encore jusqu’au jour où la mère décide de l’envoyer à l’école… en secret. 

     

    Commence alors un véritable et douloureux jeu de cache-cache avec le mur géant.

     

    Najia Abeer, le 21 juin 2005

    _______________

     

    Cet été, c’est la normalienne Fatiha Souiki qui fait la une de l’été colliote. Native de la cité préinsulaire un certain 17 février 1950, Fatiha a signé sous le pseudonyme de Nesrine un pamphlet de 143 pages qui raconte la vie de l’écrivain l’année de sa scolarisation. Avènement cultuel diront les uns.  

    Non, répliqueront les autres, notamment les Colliotes qui sont contraints, cette année, de compter sur les doigts d’une seule main les évènements positifs qui marquent l’actuelle saison estivale. C’est pourquoi La baie aux jeunes filles est plus qu’une œuvre littéraire… un phénomène social.  

    Bien que l’évènement n’est raconté qu’une ou deux fois, le lecteur découvre Collo durant les années de la guerre de libération. Un pays pauvre où la guerre a rendu le train de vie encore plus difficile. Il découvre aussi la condition de la femme à travers la mère de Fatiha, son amie de quartier Z’bida, ainsi que Fatima la sœur du fou du village, le célèbre Ahmed El Ghoul. Cloîtrée à l’intérieur des murs de leurs demeures et du quartier du Jarda, les femmes sont les véritables maîtres des lieux. La mère de Fatiha, épaulée par sa grand-mère, ne réussit-elle pas à élever un étage dans la maison à l’insu du père, feu ammi Ahcène, pourtant très actif, ayant été l’un des précurseurs du mouvement scout local ? 

    Fatiha raconte avec précision la fête locale aujourd’hui délaissée qu’est la “zerda” de Sidi Achour à laquelle sa famille, issue de la tribu des Achach, y participe activement. Elle raconte, aussi, “la descente” des femmes vers leur plage, La baie des jeunes filles. À travers cette œuvre, on découvre qu’il s’agit plus que d’une virée vers une plage réservée aux femmes mais de toute une tradition faite de croyances et de rituels scrupuleusement respectés et transmis de génération en génération.  

    Si Ahmed El Ghoul a réellement existé à travers les récits de Ftima, la sœur de ce dernier. l’écrivain fait redécouvrir aux colliotes les anciennes “hjaiate” sur El Ghoul qui auraient vécu à Collo dans l’ancien temps comme celles des “sbaâ djenoun” reconnaissables aux traits de leurs mains et que les anciens semblaient croiser le jour du marché.  

    En fait, à travers l’histoire de Fatiha, c’est une partie de la mémoire collective de la cité qui est racontée. Toutefois, il est difficile de classer l’œuvre. Comme dans La confession dans les collines de Angelo Ronaldi, on retrouve chez Souiki quand elle parle du mur un certain goût pour les phrases complexes. Ces dernières deviennent simples quand elle se mettent à l’art du portait des ses personnages auxquels elle ne fait pas vivre des évènements exceptionnels mais les expose juste au “zoom de son objectif”. Et là, elle est tantôt complaisante quand elle évoque la mère et tantôt sévère quand elle parle de Z’bida.  

    Alors, La baie aux jeunes filles est-elle un livre ou un roman ? Disons un livre intime de Collo des années 1950. 

    Mourad Kezzar - Liberté.

    _______________

    "Sur une presqu'île où mer et végétation rivalisent de beauté, une petite fille égrène sa tristesse. Elle n'ira pas à l'école parce que son père le lui a interdit. Va-t-elle partager le sort subi par de nombreuses générations de femmes dont sa mère, sa grand-mère et bien d'autres encore ? Sa mère s'y refuse et l'inscrit dans le plus grand secret. Heureusement que la presqu'île de Collo est une terre enchantée...’ 

    Aucune histoire n'est totalement banale. Et à supposer même qu'elle le soit, le talent est là pour supplanter et pallier le manque d'originalité. Fatiha Nesrine, l'auteur de l'ouvrage, raconte l'histoire simple (et non simpliste) d'une enfant qu'un père qui fait du patriarcat un privilège d'exception ou une espèce de clause léonine et qui, fort donc de ce statut, s'arroge ce droit quasi régalien de priver sa petite fille des bancs ô combien pourtant salutaires de l'école.  

    En fait, la question bien que fondamentale, si on ose dire, n'est qu'un prétexte pour fustiger tous ces tabous qui ont étouffé et brisé bien des vocations. Et cette normalienne de Fatiha qui a peut-être subi les mêmes avatars - il y a toujours un je quelque part dans le rapport à l'écrit -, Fatiha donc se projette dans les faits à travers l'itinéraire mouvementé et chahuté de la jeune potache.  

    Heureusement que l'histoire se termine par un happy end et que le livre qui aligne et affiche au compteur pas moins de 164 pages sonnantes et foin trébuchantes pleines de poésie au demeurant, se laisse lire et atténue la violence de la thématique centrale développée. Ce qui aiguise davantage la curiosité du lecteur aspiré par la fluidité du style et la candeur toute juvénile de la petite héroïne.  

    Quant au reste, le lecteur reconnaît toujours les siens…  

    A. ZENTAR - El Moudjahid. 21 avril 2002

     

    Entretien avec Fatiha Nesrine

    Sur EVE (Enfance Violence et Exil)

    Témoignages des écrivain-e-s

    Fatiha Nesrine est née le 17 février 1950 en Algérie. Elève à l'Ecole Normale d'Institutrices puis à l'Ecole Normale Supérieure, elle a formé des enseignants dans les Instituts Technologiques de l'Education avant d'être co-auteure de manuels scolaires de Français à l'Institut Pédagogique National à Alger. Chercheuse à l'Institut de Recherche en Education, elle est actuellement à la retraite. Elle a fait son entrée dans la littérature par la publication d'un roman intitulé La baie aux jeunes filles, édité par L'Harmattan à Paris puis réédité par Thala Editions à Alger. Un recueil de nouvelles inédites a fait l'objet de lectures au Salon International du Livre d'Alger en octobre 2009. Elle a également donné des conférences lors de colloques et manifestations littéraires ("Voix plurielles" au Palais de la Culture en décembre 2006, " Parole et silence" au colloque sur L'Ecrivaine arabe à la Bibliothèque Nationale en novembre 2007...) Elle fait connaître la littérature algérienne à l'occasion de rencontres qu'elle anime, en particulier celles portant sur les ouvrages de Najia Abeer, Djamel Mati et M'hammed B. Larbi, ainsi qu'à travers des articles publiés dans les revues Passerelles et L'ivrescq. Entretien réalisé par Max Vega-Ritter à Clermont-Ferrand le 19 mai 2010. 

     

    Lien pour voir la vidéo de l’entretien EVE

    http://www.enfance-violence-exil.net/index.php/eve/swf/it/13/1531

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